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E. R. Dodds (II)

29 Juin 2008 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture

Suivant les conseils d'un courageux lecteur anonyme, je me suis procuré Les Grecs et l'irrationnel, un livre dont je trouve l'intitulé réducteur. Comme le suggère Deleuze, je l'ai pris par le milieu, presque même par la fin - le chapitre 6. Je tombe ainsi sur la crise de ce que Dodds appelait l'Aufklärung athénienne. On retrouve chez l'historien quelque chose de comparable à la tonalité de Norbert Elias dans les années 1930 - mais aussi, dans un sens, de Russell à la même époque -, une volonté de comprendre le retour de l'irrationnel et de la barbarie au coeur du XXe siècle, et d'utiliser l'histoire pour ce faire. Voilà qui peut engendrer des anachronismes dans le regard, mais d'un autre côté favorise une certaine empathie toujours utile d'un point de vue "compréhensif" auquel je tiens en sciences sociale. Dodds rappelle notamment qu'au XIXe siècle, une autre forme d'empathie rétrospective avait conduit les historiens à enseigner une Grèce trop lumineuse et rationnelle. La noirceur du XXe siècle, dans ce domaine comme dans d'autres aura permis de corriger utilement le tableau.

Ce livre est très riche, et admirable, ne serait-ce que parce qu'il ne se paie pas de mots (à la différence de nombreux ouvrages français). Je me souviens du livre de Vernant sur les Origines de la Pensée grecque qui, sous l'influence du marxisme, insistait utilement sur les sources politiques de la rationalité athénienne, à travers notamment les procédures judiciaires. Dodds contrebalance ce diagnostic en mettant l'accent, pour sa part, sur le particularisme des milieux intellectuels, et l'isolement de leurs convictions parmi des masses encore fort irrationnelles et superstitieuses, ce qui explique la vigueur de la réaction anti-philosophique (le procès de Socrate et de bien d'autres philosophes), dont Platon fut témoin et qu'il dut intégrer à sa propre philosophie (quelque chose qui peut nous faire penser au "retour du religieux" des trente dernières années).

Le livre est très riche. Sur ce chapitre 6 je retiens de nombreux éléments concernant les effets "pervers" du rationalisme en terme d'individualisme libertaire dans la jeunesse athénienne (les groupes qui prenaient systématiquement à contrepied les pratiques religieuses), les craintes que tout cela pouvait susciter en temps de guerre. Très importante aussi la mention de la peste de 430 (pour en comprendre la portée, je crois qu'il faut se rapporter à ce que Boccace dit de la peste florentine de 1348 dans son introduction au Décaméron) et son rôle dans l'importation de nouvelles religions "barbares" à fort contenu émotif. Le chapitre suivant sur les compromis de Platon avec le chamanisme est aussi passionnant (qu'on se reporte à mon article ci-dessous sur le chamanisme en Egypte, la dette de la métaphysique occidentale à l'égard du chamanisme ne m'avait jamais sauté aux yeux jusqu'ici). On ne peut s'empêcher de songer à l'impact ultérieur que cela aura sur le christianisme. D'ailleurs Dodds lui-même esquisse parfois, au détour d'une phrase, des remarques sur l'hellénisme qu'il embrasse sur une sorte de longue durée à la Braudel jusqu'à nos jours (par exemple sur cette question difficile du rapport des Grecs aux images, et dont les aspects les plus insolites se retrouvent je crois chez Epicure).

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