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A propos d'un texte de Mathilde Cohen sur les audiences de reconduite à la frontière.

27 Mars 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

servjur-petit.jpgA côté de mes travaux en sociologie du corps, je n'ai jamais cessé naturellement de suivre, même de loin, la sociologie des institutions à laquelle j'avais consacré ma thèse de 2006.

 

Les hasards des recherches sur le Net me font tomber sur un essai en ligne sur Hal-Inria de Mme Mathilde Cohen, "L'épreuve orale. Les magistrats administratifs face aux audiences de reconduite à la frontière". Il semble que ce texte ait été publié dans le numéro 72/2009 de la Revue Internationale de Théorie du Droit et de Sociologie Juridique. D'une façon qui ne saurait surprendre compte tenu de l'évolution récente de la sociologie du droit, Mme Cohen adopte les outils de la théorie de Pierre Bourdieu pour examiner les enjeux des audiences sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière sous l'angle d'un rapport de force symbolique entre le sous-champ juridictionnel et l'administration.

 

A vrai dire il est très difficile de se faire une opinion sur ce sujet car il faudrait un descriptif complet des jugements rendus, des affaires examinées, et du profil sociologique des magistrats qui ont statué dans chaque cas, autant de données qui font défaut ce qui, du coup, empêche de saisir réellement où et comment se définissent les rapports de force que l'on peut percevoir intuitivement. Personnellement, dans les juridictions que j'ai connues je n'ai jamais constaté le phénomène décrit par Mme Cohen d'une évaluation de la qualité du travail des magistrats à l'aune de leurs jugements dans ces affaires. Il est vrai que ce sont des affaires où les juges sont très exposés à titre individuel, et dans des situations d'urgence, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans les situations que j'ai connues il n'était pas question pour les chefs de juridiction d'examiner la qualité des décisions rendues (bien que, bien sûr, chacun puisse se faire ensuite une opinion même accidentellement au fil de la consultation des archives, lorsqu'on recherche des précédents). Mme Cohen prend d'ailleurs soin de préciser qu'elle ne sait pas si cette évaluation des décisions rendues existe dans toutes les juridictions. Peut-être a-t-elle existé dans certaines, mais je n'en suis pas certain.

 

Depuis une quinzaine d'années je me suis souvent fait la réflexion que ces audiences qui pèsent beaucoup dans l'opinion publique compte tenu de l'enjeu que représente dans le débat démocratique le contrôle de l'immigration illégale pouvaient constituer un très bon sujet de thèse. Il me semble cependant qu'à côté de l'approche nécessairement ambitieuse que représente l'angle d'attaque de la théorie des champs choisi par Mme Cohen, il y aurait déjà un travail plus modeste, plus facile, et non moins intéressant à mener d'examen, presque ethnographique, de la façon dont s'organisent les audiences, la constitution des acteurs du processus juridictionnel (peut-être d'un point de vue ethnométhodologique), le jeu entre la rationalité juridique et les propriétés affectives du cas d'espèce (jeu favorisé par la nature même des dispositions invocables, notamment sur la vie familiale et privée, et les fluctuations jurisprudentielles auxquelles elles ont donné lieu), la manière dont ce jeu est instrumentalisé par les divers acteurs au procès avec ou sans présence d'avocat. Ce jeu n'est pas réductible au problème de la productivité statistique et des effets d'hétéronomie qu'elle peut induire dans l'office du juge ni à l'inévitable comparaison interjuridictionnelle des taux d'annulation qui n'est qu'un des paramètres de la juridicisation de la situation de l'étranger sur laquelle le magistrat doit statuer.

 

En tout cas il est clair que cet article ouvre des pistes de recherche importantes à la sociologie du droit.

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