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Les recherches de Mme Pasche Guignard sur la nudité et le divin

1 Novembre 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur

krishna_steals_gopis_clothes.jpgRécemment j'ai dit un mot sur ce blog des travaux de Mme Magali de Haro Sanchez sur les papyrus iatromagiques égyptiens. Toujours soucieux de maintenir ce blog en lien avec les recherches universitaires récentes, je voudrais dire un mot de la thèse de Mme Florence Pasche Guignard intitulée "De quelques  représentations de figures féminines en transaction avec des dieux : Exercice d’exploration thématique différentielle en histoire comparée des religions", thèse de doctorat sous la direction de Maya Burger et Dominique Jaillard, soutenue le 18 septembre 2012 à la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne.

 

Je ne parlerai ici que du deuxième axe "Le retrait au corps" de la partie III intitulée "Exploration", car il recoupe en partie certains aspects de mon livre "La nudité pratiques et significations". L'historienne des religions, après avoir décrit comment, dans le rapport aux dieux, le corps féminin peut être équipé d'attributs ornementaux, conjugaux ou érotiques, il existe aussi une corporéité féminine marquée par le retrait de certains signes distinctifs, retrait qu'elle concçoit sous deux catégories, celle de la nudité et celle du dépouillement.

 

akkaSur le versant de la nudité (que l'auteur aborde sans avoir lu mon livre et donc sans dialogue possible avec mes propres recherches, il faut le préciser), Mme Pasche Guignard part de la figure d'Akka Mahadevi, qu'elle présente comme "une figure féminine de la bhakti sivaïte de l’Inde du sud au 12e siècle, "souvent représentée nue dans l’iconographie traditionnelle", mais couverte d'une chevelure abondante (comme sainte Agnès sous nos latitudes), qui atténue son érotisme (alors que pourtant la chevelure a parfois une valeur érotique dans d'autres contextes).

 

Elle identifie cinq cas d'utilisation de la nudité devant les dieux : (1) la mise à disposition du corps féminin pour le dieu (en tant que corps de  la  bien-aimée) ;  (2) un choix ascétique souvent associé à une marque de liberté  par  rapport aux contraintes et aux attentes de la société ; (3) une violence contre le corps féminin dans le but de porter une atteinte à l’honneur ;  (4) une prescription rituelle ; (5) une manifestation de folie temporaire imposée comme châtiment par une divinité.

 

Le cas de Akka Mahadevi pouvant entrer dans le rubrique (2). Le cas des filles de Protée qui errent nues à la suite d'une décision d'Aphrodite dans les Histoires Variées d'Elien relèverait du (5), mais Mme Pasche-Guignard s'en tient au corpus indien.

 

Elle retient

- donc pour la catégorie (3)  le déshabillage de Draupadi dans le Mahabharat (repris dans dans le Padavali attribué à
Mirabai) quand Duryodhana vainqueurs à une partie de dés demande aux époux de Draupadi de la dévêtirà la cour du roi Dritharastra avant d'être sauvée par Krishna

- pour la (4) le « vol des vêtements » (cir haran) des gopis (dans le Bhagavata Purana) par Krishna que j'ai voqué dans "La Nudité".

- et pour le (1) le pad du Padavali.

 

A partir d'une étude du déshabillage de Draupadi et du "vol de vêtements" de gopis, F. Pasche-Guignard rappelle que la nudité féminine, danger pour l'honneur de la famille de la femme et pour l'intégrité psychologique de l'homme qui la désire d'un point de vue patriarcal, est aussi une punition pour la femme (je renvoie ici à mes propres développements sur la nudité-humiliation dans mon livre précité).

 

On trouve dans son travail d'intéressantes mises en rapport de la nudité avec les lieux de son déploiement : par exemple sur la légitimité de la nudité (ce que j'appelle pour ma part la nudité-don) dans la chambre de la belle famille (avec au passage des remarques utiles sur la difficulté de traduire le vers "Je suis assise, parée et maquillée, dans la maison du Bien-Aimé et maintenant je n’ai même plus de brassière").

 

DSCN5912Il y a dans le travail de F. Pasche-Guignard une remise en contexte de la nudité féminine à l'égard de la problématique générale du dépouillement (et donc de l'abandon des marques sociales et du luxe). Elle note que la poétesse Mirabai du XVIe siècle (auteur des Padavali) renonce au luxe (pensons au dernier livre pour le "grand public" de P. Morand sur les religions et le luxe) sans renoncer au vêtement et les nonnes jaïns ne se dénudent pas (à la différence de certains renonçants masculins). Akka Mahadevi reste l'exception plus que la norme. Dans les rites de transition (que j'ai pour ma part rattachés aux travaux de Goffman) l'abandon des parures ou l'abandon complet des vêtements joue un rôle comparable. Dans une excursion hors du corpus indien l'historienne renvoie au dépouillement de Cassandre (dont on peut noter aussi que dans l'iconographie grecque il va jusqu'à la dénudation partielle, et même une dénudation des plus violentes selon les canons de représentation de la Grèce classique).

 

Les questions que pose F. Pasche-Guignard sur la place de la dénudation dans les religions, ainsi que leur mise en contexte (par exemple le lien avec l'eau, la double mise en danger de l'eau et de la nudité, pensons aussi au baptême) peuvent donner lieu à beaucoup de prolongements à partir de l'étude de corpus culturels hétérogènes et éclairer le rapport anthropologique de l'humain à ses vêtements. Je pense aussi comme le suggère l'auteur lui-même que cela devrait être pensé avec la problématique de la nudité des dieux et des déesses (il faudrait reprendre à nouveaux frais les intuitions de Georges Devereux là-dessus en les libérant de leur gangue psychanalytique). Je tombe par hasard en ce moment sur des remarques intéressantes de Tobie Nathan (dans son autobiographie dont nous ferons bientôt la recension) sur le rapport érotique des peuples sémitiques au divin (notamment à travers la hiérodulie). C'est aussi une dimension religieuse de la nudité qu'il faut tenir ensemble avec les analyses de Mme Pasche-Guignard. Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir.

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