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La "Lettre aux Ephésiens" et les pouvoirs occultes

20 Novembre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme, #Notes de lecture

On a déjà cité ici Clinton Arnold à propos de la Lettre de Paul aux Galates et des fameuses "stoicheia" dont je parle beaucoup sur ce blog depuis deux mois.

J'ai reçu aujourd'hui la thèse de cet auteur sur la Lettre aux Ephésiens, thèse qu'il a soutenue en 1986 dans une université chrétienne d'Aberdeen, et publiée en 1989 sous le titre "Power and magic, The concept of Power in Ephesians". Un sujet qui concerne, comme on va le voir, les pouvoirs occultes.

Les mots sur ces pouvoirs occultes sont très concentrés dans cette lettre sous divers vocalobles : iskhus, kratos, exousia, dunamis ou energeia (deux termes qui évoquent les forces et énergies, ce qui devrait nous faire craindre un peu les "énergies subtiles" que les yogis, et adeptes des sagesses médecines douces prétendent manipuler impunément). Ces mots sont opposés au pouvoir cosmique du Christ. Arnold essaie de comprendre  les préoccupations historiques auxquelles ce propos répondait en son temps.

L'exégèse historique admet que le texte s'adressait à plusieurs églises d'Asie mineure occidentale et non seulement une église spécifique d'Ephèse. Cette ville de 250 000 habitants à l'époque avait été pendant 2 ans et demi un centre de prédication important pour Paul.

Pendant longtemps les historiens se sont demandés si cette lettre n'était pas inspirée par une forme d'hérésie gnostique locale liée au manichéisme iranien (le grand combat des forces du Bien contre celles du Mal). Mais la Gnose est apparue plus tard, d'ailleurs avec un fort contenu juif après la chute du Temple, si bien que cela militerait pour une datation tardive (postérieure à 70) du texte et il est vrai que des manichéens ultérieurement (notamment le manuscrit de Nag Hammadi l'Hypostase des Archontes) ont beaucoup cité Ephésiens 6:12 "Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants (/esprits du mal) dans les lieux célestes." Arnold estime qu'il a pu exister des formes de proto-gnosticisme juif qui ont influencé Paul, mais il s'intéresse davantage au contexte de magie qui caractérisait Ephèse et sa région à ce moment-là.

Metzger a insisté sur le fait qu'Ephèse était la ville la plus infestée de sorcellerie de tout l'empire romain. Les "lettres éphésiennes" (ephesia grammata) étaient des formules rituelles magiques (à base de six mots liés à Artémis) citées par Clément d'Alexandrie, Hesychius, mais aussi une tablette crétoise du IVe siècle av JC. Anaxilas le Comique (IVe s av JC) en son poème "Le fabriquant de harpes" cité par Athénée de Naucratis décrit ainsi le philosophe Anaxarchos d'Abdère : "Huilant sa peau avec des onguents jaunes, étalant ses délicates chlamydes, traînant ses pieds dans de fins escarpins, mâchant des oignons, dévorant des morceaux de fromage, gobant des œufs, mangeant des bigorneaux, buvant du vin de Chios, et, c'est le comble, portant sur des pièces d'étoffes cousues les jolies lettres d'Éphèse" - Arnold traduit par "jolis charmes d'Ephèse", puisqu'on utilisait ces mots comme des formules apotropaïque (un combattant à Olympie les avait inscrites sur ses chevilles, et selon Plutarque les mages exorcisaient les possédés en faisant réciter les mots de ces lettres°. On connaît la magie de l'époque à travers des papyrus d'Egypte et le Testament de Salomon. Rappelons qu'en 13 av JC Auguste avait fait brûler 2 000 rouleaux de parchemins à finalité magique selon Suétone.

La peur du royaume des démons était une raison majeure de l'usage de la magie : dans les papyrus égyptiens de ce temps on invoque contre les démons des dieux grecs comme Kronos, Zeus, Aphrodite, égyptiens comme Osiris, Isis, Serapis et même des noms du Dieu des Juifs (p. 18). L'Artemis d'Ephèse (affublée des titres de sauveuse/soteira, seigneur/kuriar, et reine du Cosmos/basileis kosmon) joue aussi un rôle très important dans les protections surnaturelles. Comme Isis dans l'Ane d'Or d'Apulée (qui d'ailleurs l'assimile explicitement à l'Artémis d'Ephèse comme à l'Aphrodite de Paphos), elle a un pouvoir au dessus du destin qui se manifeste par son collier représentant les signes du Zodiaque qu'elle maîtrise (sur une gemme magique trouvée près de Paris elle est représentée avec le soleil et la lune, ce qui en fait une divinité astrale). Les Ephesia Grammata selon Pausanias étaient écrites mais de façon illisible sur les pieds, la ceinture et la couronne de la déesse. Elle est reine du monde souterrain et ses seins avaient aussi une fonction magique, comme souvent les organes sexuels dans l'Antiquité (cf Lichtenecker).

Les Actes apocryphes de Jean identifient clairement Artemis à un démon, et ce n'est pas un hasard si un des rares exorcismes des Actes des Apôtres se passe à Ephèse. On a retrouvé des papyrus chrétiens invoquant la vierge Marie, Sabaoth et Salomon pour "lier le scorpion Artemis".

La vision paulinienne des "pouvoirs" que le Chrétien doit affronter a fait débat. Le vocabulaire (le mot arkhè) emprunte à l'esprit juif de l'époque. Le mot dunamis se réfère aux anges dans l'ancien testament, tout comme kuristès (ennemis) (p. 54).

Les versets "1. 20. Cette puissance, il l'a déployée en Christ quand il l'a ressuscité et l'a fait asseoir à sa droite dans les lieux célestes, 21 au-dessus de toute domination, de toute autorité, de toute puissance, de toute souveraineté et de tout nom qui peut être nommé, non seulement dans le monde présent, mais encore dans le monde à venir." montrent une suprématie sur les noms d'entités invoqués dans les rituels magiques. En écho à Psaume 110 " Yahweh a dit à mon Seigneur: "Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis l'escabeau de tes pieds."

La référence à la descente de Jésus sous Terre (Ephes 4:9) peut rassurer ceux qui craignent les puissances de l'Hadès. La description de Satan comme "le prince de la puissance de l'air " en 2:2 est commune à l'époque. Les papyrus magiques parlent beaucoup des esprits de l'air. A plusieurs reprises (notamment les prières de l'épître) le pouvoir de Dieu est placé au dessus de celui de ces forces des Ténèbres (p. 72). Arnold analyse en quels termes ce pouvoir est décrit par Paul.

Au total j'ai été un peu déçu par ce livre qui enfonce beaucoup de portes ouvertes, et paraphrase souvent le texte de Paul en ne donnant que quelques éléments sur le contexte culturel des mots choisis. C'est beaucoup moins impressionnant que les trouvailles faites par Kevin von Duuglas-Ittu dans son cocktail sur la "Lettre aux Galates" élaboré sur la base des travaux d'Arnold et de Susan Elliott. L'idée que la soumission au Nomos juif et païen vous asservit aux stoicheia du zodiaque et des éléments naturels était quand même plus contre-intuitive que celle selon laquelle les puissances auxquelles Saint Paul oppose la suprématie du Christ sont (en partie) les sortilèges magiques liés à l'Artémison d'Ephèse.

Je retiens cependant deux points importants : 1) le nom de Jésus comme nom au dessus des noms devient quelque chose de très concret quand on comprend l'usage des noms dans la magie ésotérique (notamment dans les Ephesia Grammata) 2) le fameux "tu marcheras sur le lion et sur l'aspic" du Psaume 91 ne désigne pas une marche horizontale mais une ascension : le lion et l'aspic deviennent l'escabeau du chrétien.

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"Fulcanelli, Commandeur du Temple" de Roger Facon

9 Octobre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie, #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Médiums, #Notes de lecture

Il y a quelques années, je me suis penché sur les alchimistes  du début du XXe siècle Jollivet-Castellot (le socialiste), et le célèbre Fulcanelli (que j'ai cité entre autres pour ses travaux sur le verre égyptien à propos des remarques de Jonathan Black sur le christianisme).

Roger Facon (policier à la retraite, né en 1950) qui dit être l'arrière petit fils (par sa grand mère paternelle) d'un proche de Fulcanelli (1839-1953), Léon Patin (1868-1941) a publié en 2017 aux éditions de l'Oeil du Sphynx un ouvrage qui, s'il est véridique, au moins partiellement, peut s'avérer riche en enseignements sur l'histoire de l'occultisme français depuis cent ans : " "Fulcanelli, Commandeur du Temple".

Dans ce livre témoignage, qui emprunte beaucoup à ses archives familiales, l'auteur plonge tout d'abord le lecteur dans ce monde d'alchimistes d'extrême-gauche, qui se déploie de Bruxelles à Montmartre en passant par Douai dans les années 1900. Un groupe d'adeptes du "grand oeuvre" s'était fixé à la fin du XIXe siècle à Bruxelles dans un hôtel particulier où se retrouvaient notamment le célèbre Fulcanelli, Roger Schneider (1866-1932) verrier anarcho-syndicaliste (et adjoint syndical de Delzant qui influencera René Viviani quand il sera ministre du travail), et Léon Patin.

Patin travaillait en lien avec ce groupe avec une médium (sa maîtresse) Alfonsine Thomassin, à la fabrication d'un miroir et d'attaches alchimiques au contact de l'entité "Keish", vizir du pharaon Djéser, également lié à l'Atlantide. Sa materia prima (base de son travail) était de la fulgurite. Patin est maître mineur (porion) à Saint Roch de Monchecourt, près de Douai où vit Jollivet Castelot, fils de diplomate et fondateur de la Société alchimique de France, et d'Aniche, cité du verre et du charbon, fief syndical de Schneider, où ils participent à des séances de spiritisme rue Gibour, sous la houlette du docteur Caffeau et d'Alphonsine Thomassin, dont la soeur Jeanne est aussi médium. Un premier miroir pour communiquer avec l'au-delà voit le jour en juin 1901, un second en juin 1902.

Le docteur Caffeau voit régulièrement Fulcanelli à Paris au restaurant le Chat noir dont le patron a fondé la revue du même nom dont on a déjà parlé à propos de Charles Cros. Schneider et Fulcanelli se voient à Bruxelles.

Jeanne Thomassin a des visions terribles de sang et de destruction à propos d'Aniche dans les années 1900-1910. C'est un avant-goût de la première guerre mondiale. La femme de Jollivet Castellot, Angèle ("Léonie" dans le roman qu'il a écrit) qui fait des décorporations a les mêmes. Thomassin en 1895 a  la révélation de l'entité "Le Scribe" (un proche d'Imhotep) que la partie de malheur qui concerne Aniche est liée à la présence d'une momie maléfique qui de son vivant à Memphis faisait de la magie noire et se trouverait enterrée au cimetière d'Aniche.

En 1899, Schneider construit en utilisant la numérologie avec ses camarades une maison du peuple rue de la Pyramide à Aniche. Sa façade avec deux pointes de pignon se termine par deux pyramides inspirées des maisons alchimiques de la Grande Place de Bruxelles. Selon Facon, c'est un contrepoint à l'influence néfaste de la momie du cimetière et, d'ailleurs, la maison du peuple tiendra debout pendant la Grande Guerre.

Toujours selon Facon, Fulcanelli sait que les malheurs de l'Europe sont liés à l'Egypte. Quand, lorsque le Directoire a lancé l'expédition d'Egypte en 1797, les tombeaux de ce pays ont été ouverts, "une masse considérable de 'doubles' de magiciens noirs a fondu sur l'Europe" (p. 25). "Des Ames noires ont quitté les zones astrales appelées, par les religions établies, 'Enfers' pour incorporer une infinité d'enveloppes humaines". Tous les milieux, même les cercles dirigeants, ont été touchés. "Jeanne Thomassin, plongée dans le sommeil magnétique par le docteur Caffeau", a vu des hordes de 'doubles' fondre sur Paris, Lyon, Marseille. Elle a identifié dans les miroirs alchimiques de Patin des "maisons noires" dans le processus d'aimantation des "doubles" où l'on faisait de la magie noire avec les cheveux, les morceaux d'ongles des gens, les chapelles, certaines forêts etc où se fixent les ondes des opérateurs des maisons noires.

Lyon a été attaquée par les hordes, mais elle a aussi une "maison blanche" selon les séances d'Alphonsine Thomassin. Selon Louis Charpentier ("Les Géants et le mystère des origines" paru en 1969). Lyon est en soi une entité ésotérique qui a une face partiellement ésotérique. Carpentier parle de l'influence d'un égrégore d'Osiris qui a peut-être, avance Facon, été à l'origine des "maisons blanches" vues par Alphonsine Thomassin.

Grâce à son préfacier Eugène Canseliet, on sait que Fulcanelli (qu'il a rencontré à Marseille en 1915), affirme Bacon, fréquentait le célèbre Anatole France et Viviani (avant le ralliement de ce dernier au parti de la guerre). Pierre Dujols journaliste marseillais qui tint une grande librairie occultiste rue de Rennes à Paris lui donna des documents pour écrire son "Mystère des cathédrales". Sa femme était médium et originaire d'Hennebont, en Bretagne. Par lui on sait que l'abbé du monastère de ce bourg, qui fut voisin au XIIe siècle, d'une commanderie templière, lui donna une bague templière. Facon se demande quel rôle Dujols et sa femme ont joué dans cette transmission, et si celle-ci n'a pas fait de Fulcanelli un commandeur honoraire d'Hennebont (p. 41).

Le soir de la Pentecôte 1936, jour où le président du conseil Blum faillit être lynché par la foule boulevard Saint Germain, selon la grand mère paternelle de l'auteur, Léon Pantin fut adoubé par Fulcanelli dans la chapelle souterraine de la commanderie du Temple à Paris dans un hôtel particulier du Marais. Sa grand mère le lui apprit pour son vingt deuxième anniversaire mais lui interdit d'en parler avant 2014 pour des raisons numérologiques. L'auteur a alors adhéré au mouvement rosicrucien AMORC (Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix) fondé à Toulouse en 1915 par l'Américain Spencer Lewis et où Jollivet-Castelot fut influent.

Dans l'attente de pouvoir divulguer ses secrets sur les alchimistes du Nord-Pas-de-Calais du début du siècle et sur Fulcanelli, Facon a enquêté avec le rosicrucien de gauche Jean-Marie Parent, fils de cheminot de Malincourt attiré par l'occultisme après la lecture de Pauwells et de Sède, sur le rosicrucien conservateur Raymond Bernard, grand maître de l'AMORC en 1972, et franc-maçon en Italie, qui fut initié d'après un témoignage rosicrucien d'Emmanuel David, par des sorciers au Bénin en 1979 (sous les auspices du dieu-égrégore Seth estime Facon) (p. 47). Il polémiquera notamment avec lui dans les années 1990 sur son rôle dans la création de l'Ordre rénové du Temple (à l'origine de de l'Ordre du temple solaire et de ses massacres qui firent en leur temps la "une" des journaux). Bernard a reçu ordre du nommé "Cardinal Blanc" en Italie de recréer l'ordre du Temple qu'il confiera à un ancien membre de la Gestapo. Facon lui oppose la légitimité de la restauration templière enclenchée par Jean-Marie Parent avec le Cercle d'Héliopolis en 1976 à laquelle il a collaboré. C'est au nom de cet héritage que dans les années 1990 il s'exprime dans les médias contre les fondateurs de l'Ordre du temple solaire et les massacres qu'ils occasionnent.

Facon est convaincu que Fulcanelli a découvert la pierre philosophale en 1930, et que, devenu immortel, avec Saint Germain, il est "un des 144 chevaliers du Temple qu'abrite l'Hexagone" (p. 68). Il a un pied aux Etats-Unis : il aurait proposé, en 1945 ou avant, à l'anarchiste occultiste Marcel Dana (un neveu de la grand mère de l'auteur) de travailler aux Etats-Unis, dans l'Etat de New-York, comme chef du service des expéditions dans une petite verrerie, propriété d'un membre de la belle-famille de Fulcanelli (p. 98). Selon Facon, Fulcanelli est aussi le mystérieux maître alchimiste qu'aurait rencontré Bergier par l'intermédiaire d'André Helbronner (Pauwells en parle dans Le Matin des Magiciens).

Dana, résistant, fut chargé "par Fulcanelli" de réorganiser la maçonnerie égyptienne, et de "traiter" Lydie Bastien la médium maléfique qui joua un rôle dans l'arrestation de Jean Moulin, ainsi que son comparse Alexandre Rouhier patron des éditions Véga et adepte de la magie noire (dans le cercle de Robert Ambelain et Gaston Sauvage).

Fin 1945, affirme Roger Facon sur la base des confidences de sa grand-mère à qui Mana en a parlé, de riches dames occultistes d'Auteuil, sous la direction de Lydie Bastien, ont reçu des attaches maléfiques d'Inde qui circulent dans les parages de l'église Ste Merry (dans le 4e arrondissement de Paris). Ce sont des boîtes de plomb fabriquées des organes de jeunes filles pubères et de petits garçons spécialement consacrés dans des rituels de pleine lune à des endroits choisis de l'Hexagone. Marcel Dana allait mourir d'une maladie mystérieuse peu de temps après avoir découvert leur existence.

A sa mort, le lillois Valentin Bresle ami de Salengro prit la tête du petit réseau de renseignement qu'il avait fondé. Il s'intéressa à l'infiltration des surréalistes par Lydie Bastien par l'intermédiaire de l'ex-séminariste Gengenbach. Bresle compte parmi ses informateurs l'astrologue numérologue du ministère de l'intérieur Roger Wybot qui protégea Lydie Bastien de l'épuration et en fit un agent à sa propre solde sans en informer Bresle selon l'enquête de Parent (p. 123). Wybot l'informa notamment sur les réseaux sionistes parisiens dont il était sympathisant. Il fut le fondateur de la direction de la Surveillance du territoire (DST).

Bresle, selon Parent, faisait de l'invocation d'entités séraphiques. Lydie Bastien, quant à elle, dans les années 60 achète des bars à Paris, et, rosicrucienne, et dit servir des maîtres tibétains de l'Agartha (le royaume souterraine) qui depuis la soi-disant entrée dans l'ère du Verseau veulent secouer les structures du monde. A cette fin, elle séduit les banquiers et les grands de ce monde. Pierre Péan dans "La diabolique de Caluire" a recueilli les confidences de Louise d'Hour, actrice des films de vampires de Jean Rollin, qui chantait au Boucanier, le bar-discothèque que possédait Lydie Bastien à Montparnasse, rue Jules Chaplain, laquelle raconte comment la médium achetait la bienveillance des policiers ripoux de Paris. Selon elle, Lydie Bastien lui aurait demandé de trouver huit personnes "pour constituer un gouvernement cosmique" et aurait été mêlée aussi à une opération de la CIA pour déstabiliser De Gaulle en mai 1968.

Pour finir, Facon revient sur l'Ordre rénové du Temple tandis qu'à la mort de Bresle en 1978 "Fulcanelli" aurait nommé Parent à la tête de la "jurande" qui lui est restée fidèle à Paris (celle qui suit la voie alchimique du verre), et sur une mise en parallèle entre les initiatives positives de René Guénon pour enterrer en Egypte des attaches maléfiques révélées par les "fours à étoiles" (miroirs) de Fulcanelli, tandis que Schwaller de Lubicz installés à Louksor avec sa femme en 1938 s'efforçaient au contraire de les renforcer treize années durant, magie contre magie...

Un esprit rationaliste, ou même divers courants monothéistes anti-alchimiques, mettront en doute la foi de Facon dans l'éternité de Fulcanelli et dans la réalité des dons et des entités qui agissent tout au long de son récit. Les partisans des maîtres occultistes (notamment rosicruciens) que l'auteur  attaque dénonceront dans ses "révélations" un tissu de mensonge destiné à seulement mettre en valeur le petit groupe auquel lui-même se rattachait, sans que l'historien puisse faire la part du vrai et du faux (puisque les preuves écrites documentaires sont nécessairement rares). Pour autant, le chercheur en histoire secrète trouvera dans ce livre un éclairage intéressant sur les rivalités dans le monde de l'occulte, avec cette construction originale d'une défense d'un courant opératif, la "voie du verre", de gauche, revendiquant une inspiration spirituelle d'un haut niveau (d'un niveau séraphique) face à ce qu'elle perçoit comme une corruption de l'héritage templier dans des voies théoriques inspirées par le dieu néfaste "Seth", à la recherche du pouvoir, de la guerre, et de l'exploitation du monde. 

Nul doute aussi que les affirmations de Facon sur ce qu'il présente comme une version française de l'AMORC qui puiserait ses sources à la magie noire (notamment africaine, avec la connexion politique avec la Françafrique, le Service d'Action Civique etc) gagneraient à être mises en regard avec les recherches d'un Bill Cooper (1943-2001) sur le rosicrucisme américain au XXe siècle (et sa fusion avec les "Illuminati") à l'origine de beaucoup de spéculations en ce moment sur Hollywood, les milieux bancaires, et ceux du renseignement outre-atlantique, au service d'une compréhension plus large des visions complotistes du monde qu'elles peuvent nourrir.

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"On the Path of the Immortals" de Thomas Horn et Cris Putnam

4 Août 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Notes de lecture

Je voudrais dire un mot du livre de Putnam et Horn, publié en 2015 "On the Path of the Immortal" qui rend compte de leur enquête sur les portails censés ouvrir sur d'autres dimensions de l'espace-temps par où peuvent pénétrer des entités. Ce livre, qui n'a pas porté chance à Putnam décédé deux ans plus tard d'un arrêt cardiaque assez mystérieux à 51 ans, abordait cette question délicate d'un point de vue chrétien en capitalisant sur le succès de leurs deux ouvrages de 2012, Petrus Romanus, qui aurait prophétisé la démission de Benoît XVI, et Exo-Vaticana, sur l'implication du Vatican dans l'observatoire Lucifer en Arizona, censé préparer le "baptême" des entités extra-terrestres.

L'ouvrage constitue un apport intéressant à la réflexion sur ces thèmes controversés. Les  remarques angéologiques du premier chapitre par exemple permettent de fixer quelques concepts. En hébreux, notent les auteurs, ange (malak) est une fonction : messager. Le psaume 148 qui dit Louez-le, vous tous ses anges! Louez-le, vous toutes ses armées! parle des malakim (anges) et pour les armées (tsaba). Contrairement à ce qu'indiquent Kenneth Boa et Robert Bowman dans "Sense and nonsense about angels and demons" les anges peuvent être masculins (Daniel 10:5) féminins (Zacc 5:9) et contrairement à ce qu'écrit St Thomas d'Aquin sur la base de la physique aristotélicienne, ils ne sont pas aériens (certains mangent Genese 18:1-8). Venir d'une autre dimension ne signifie pas être aérien : voir le cas du corps de Jésus ressuscité, ou l'apparition d'un objet. La Bible ne donne pas assez d'informations pour qu'on puisse poser dogmatiquement que ces êtres immortels sont purement aériens. Isaïe 6:2 décrit aussi les séraphins, qui sont des serpents à plume. Daniel 4:17 parle des veillants, ceux qui veillent (watchers). Dans Jubilee 3:15 et 1 Enoch 1-36 ils séduisent les femmes humaines. Un manuscrit de la Mer morte décrit le père de Moïse voyant un Veillant reptilien. Les chérubins gardiens des trônes sont des chimères, équivalents des sphynx, selon la description d'Ezechiel 1:6.

Le Nachash (le "brillant" selon Michael Heiser et non le serpent) est un Cerub (chérubin) qui veut s'unir à la femme dans le jardin d'Eden (comme les deux cherubim dans le Zohar Hadash., puis il est réduit à manger la poussière Dans Isaie 14:11 il est descendu au sheol, dans Ezechiel 28 il est jeté au sol.

Les auteurs rappellent que Lewis Carroll a popularisé le portail vers d'autres dimensions à travers le miroir. Il se trouve dans la bible aussi. Jacob déclare que Bethel est la porte des cieux  (Genèse 28:17) et Jésus est la porte (Jean 10 9), ce qu'a matérialisé l'architecture des cathédrales médiévales. Babylone (Bab-Ilu) en akkadien c'est la porte de Dieu. Les vedas identifient des portails cosmiques (nakshatras) dans les constellations , la Mer du diable au Japon entre Iwo Jima et l'île Marcus, la forêt d'Aokigahara au pied du mont Fuji sont aussi des portes de l'Hadès. Sedona en Arizona est connue pour ses vortex. Le pasteur Larry Gray en 1966 vit un géant ailé de deux mètres qu'il identifia comme le diable ou un immortel à Point Pleasant (Virginie occidentale - voir le livre de John A Keel sur ce thème).  Putman a enquêté au musée de Point Pleasant. Il a vu (p. 19) que le Herald Dispatch du 16 mars 1967 a rendu compte d'une vague (flap) d'Ovnis, ce qui a pris fin avec l'effondrement du Silver Bridge (46 morts) . Keel estime que chaque Etat américain aurait deux à dix portails. La San Luis Valley dans le Colorado est aussi un site d'Ovnis, d'apparition de fantômes, est mutilations de troupeaux. Putman en recense quelques autres (le ranch Skinwalker, la réserve indienne Yakima, Big Thicket, le triangle de Bridgewater, le triangle de Bennington, le Great Serpent Mound.

Satan n'a pas été chassé du Ciel et ses troupes d'immortels combattront dans Armagueddon (Joel 2:5 et Amos 7:1), affirment les auteurs qui soulignent que Walter Martin a rapproché la venue des Ovnis de la prophétie de Jésus dans Luc 21:26 : "les hommes rendant l'âme de terreur dans l'attente de ce qui surviendra pour la terre"/"things which are coming on the earth" - cette idée de survenance sur la Terre renvoie à la notion d'une cause extraterrestre. Quand Apocalypse 9:2 parle du puits sans fond qui s'ouvrira à la 5e trompette qui pourrait aussi être un vortex de passage des extraterrestres.

Les apaches de la tribu San Carlos ont fait un procès à la Nasa et au Vatican pour empêcher la construction de l'observatoire Lucifer sur le Mont Graham (Zil Nchaa Si An). Ils ont dans leur mythologie un dieu créateur, un dragon trompeur, un déluge, et des géants détruits par Dieu. Pour eux le Mont Graham est un portail céleste. Après la publication de Exo-Vaticana en 2013, Putman a été incité à enquêter davantage auprès des Apaches. L'entreprise fut compromise à plusieurs reprises pour Putnam mais Horn a pu enquêter chez les Navajos des montagnes de La Plata (p. 42) Il y vit avec son équipe les ruines d'une forteresse des Anasazis dans le parc national de Mesa Verde et interrogea un homme médecine conteur navajo ouvert au christianisme, Don Mose Jr. Velui-ci dévia de son discours habituel pour touristes. Par exemple quand au lieu de dire que les Anasazis étaient devenus les actuels Pueblo comme cela se dit d'habitude, il admit qu'ils avaient disparu après être passés sous le "mind control" d'un serpent carnivore. Il approuva aussi Horn quand il évoqua le fait que les Apaches avaient parlé de géants cannibales détruits par le déluge. p. 56 Quant à Putnam, sa rencontre (retranscrite in extenso verbatim) avec une diplômée qui se disait "juive messianique" en réalité adepte du New Age,semblait bien connaître le patron de la NASA et prétendait pouvoir inviter des Ovnis sur commande, elle vaut son pesant d'or pour connaître les milieux occultistes qui gravitent autour de Sedona.

Pour Horn et Putnam par les portails sacrés des Indiens comme par ceux qu'essaie de créer le Centre européen d'études nucléaires passeront à la fin des temps, des démons, les Fils de Dieu, mais aussi leurs enfants les Géants.

Le livre toutefois suscite des réserves même dans les milieux religieux. Ainsi théologiquement il n'est pas très correct qu'il se réfère au livre d'Hénoch, au Zohar et autres hérésies, ce qui fait un peu désordre pour des analystes qui se disent chrétien. Comme le rappelle ici le pasteur Gene Kim, les anges féminins en Zaccharie 5 sont des démons et non des anges - la confusion sur de tels sujets n'est pas très bon signe.

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"Le Christ autrement" du père François Brune

1 Juillet 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Notes de lecture, #Médiums

Le père François Brune était un prêtre catholique (converti dans ses vieux jours à l'orthodoxie) connu pour s'être intéressé aux phénomènes paranormaux et manifestations surnaturelles comme le spiritisme, les décorporations, le Suaire de Turin ou les apparitions mariales. J'avais notamment apprécié en 2016 la lecture de son livre sur Notre Dame de Guadalajara. Ayant appris son décès en janvier dernier, après une conversation avec un ancien camarade de Sciences Po converti à l'orthodoxie, j'ai décidé de parcourir l'ouvrage de cet auteur publié aux éditions du Temps Présent en 2010 "Le Christ autrement, Le vrai sens de sa passion".

Tout d'abord, disons le, l'humilité n'est pas la caractéristique première de ce livre. "L'Eglise pensait avoir trouvé la raison de la mort, a priori si déconcertante du Fils de Dieu parmi nous, écrit-il dans l'introduction. Elle avait développé à ce sujet toute une théorie à laquelle elle croyait et qu'elle enseignait depuis 2 000 ans. Depuis quelque temps elle s'est rendu compte que cette théorie n'était pas défendable. Mais, du coup, elle ne sait quel sens donner à la Passion du Christ, c'est bien pourquoi elle est en pleine crise. Je voudrais dans ce livre, vous montrer que l'Eglise d'Occident s'est trompée de clef, qu'elle n'a pas découvert la vraie raison de cette mort aussi étrange, mais qu'il n'y a pas de raison pour autant de remettre en question le témoignage des apôtres". Se placer d'emblée au dessus d'une tradition de 2 000  ans qui compte en son sein des esprits aussi brillants que Saint Augustin ou Saint Thomas d'Aquin (il ira même plus loin jusqu'à qualifier St Augustin de stupide), il fallait oser le faire... peut-être l'enthousiasme juvénile (d'un septuagénaire pourtant) du nouveau converti à l'orthodoxie... Mais bon, passons ce détail peut-être  imputable à un trop grand empressement à exposer la tradition "alternative" orientale à laquelle au moment où il écrivait le livre il était sur le point de se convertir ...

Aux réflexions de St Augustin sur les bébés morts sans baptême desquelles l'Eglise dériva que ceux-ci seraient voués aux limbes, un endroit qui ne serait ni paradis ni enfer, ce qui nourrit des millions d'angoisses pour ces nourrissons, Brune oppose la sagesse de l'orthodoxe Nicolas Cabasias et des coptes pour qui l'amour de Dieu pour ces petites créatures a remplacé le rituel baptismal. Devant la question épineuse de savoir qui sera voué à l'Enfer, l'auteur expose les variations de l'Eglise sur ce thème d'un siècle à l'autre.

S'appuyant sur cette fragilité des doctrines, Brune dénonce la conception de la Passion comme sacrifice expiatoire qui a prévalu en Occident après Tertullien. St Grégoire de Nazianze, rappelle-t-il, en Orient mettait en doute le fait qu'un sacrifice ait pu satisfaire le Père et rétablir ainsi un justice (p. 32). Il critique aussi la tendance contemporaine (par exemple chez F. Lenoir) à ne faire de Jésus qu'un modèle d'amour sans interroger ce qui s'est vraiment passé sur la Croix.

Pour tenter de comprendre, justement, ce qui s'est vraiment passé là, Brune (p. 71, il faut hélas attendre le chapitre 4 pour enfin entrer dans le vif du sujet) part de la théorie des champs morphiques de Sheldrake, à laquelle j'ai été pour ma part personnellement introduit par la voyante bouddhiste Maud Kristen en 2015. 

Il y a, rappelle le prêtre, cette théorie des particules non-séparables vue par Einstein des 1927 et qui implique l'existence de champs de forces invisibles. Rupert Sheldrake a développé sa théorie des champs morphiques sur les corps qui, placés dans des fréquences vibratoires proches, peuvent entrer en résonance, ce qui permet d'expliquer pas exemple qu'à un certain moment des mésanges dans divers pays d'Europe se soient mises à percer les opercules bouteilles de lait au même moment (voir aussi ce que j'ai dit du perroquet d'Aimée Morgana en juin 2015). François Brune se démarquait de la vision de Dieu panthéiste de Sheldrake, mais trouvait que sa théorie de l'information permettait de comprendre notamment comment on peut "capter" des vies que l'on croit antérieures.

Comme il l'a fait dans diverses interviews sur You Tube, le père Brune n'hésite pas à s'appuyer sur des paroles d'entités de l'au-delà perçues par des voies voisines du spiritisme. Ainsi Pierre Monnier, jeune officier tombé pendant la Grande Guerre, qui communiqua avec sa mère (une protestante fervente) par l'écriture automatique entre 1918 et 1937 qui lui parla des ondes émises par le regard et par la pensée et qui produisent des entités spirituelles, positives ou négatives. L'entité de Roland de Jouvenel, mort en 1946 à moins de 15 ans, délivra un message semblable (p. 84). L'ange qui parla par la voix de la jeune Hanna à Gitta Malasz et à son amie juive Lili en Hongrie en 1943 leur expliqua que les victimes des guerres absorbent les forces négatives, ce que dit aussi Roland Jouvenel dans un message de 1948. Le conflit local est l'abcès par où se déverse le sang qui permettra au reste de l'humanité de conserver la paix.

Pour les besoins de la démonstration, le père Brune esquisse à ce stade un détour par les analyses des ufologues. Jean Sider (dans Ovnis, Dossier diabolique, JMG 2003), avance que des entités se nourrissent de nos émotions. L'enquêtrice Barbara Bartholic, le jésuite Salvador Freixedo abondent aussi dans ce sens. L'auteur détaille les phénomènes de guérison à distance, de torsion de cueillères, de transmission transgénérationnelle de traumas, puis s'attarde sur les découvertes sur les théories quantiques sur les hologrammes holochrones (David Bohm, Olivier Costa de Beauregard, Jack Sarfatti), et l'idée que "tous les systèmes de conscience, indépendamment de leur localisation spatio-temporelle par rapport à l'appareillage expérimental, contribuent à l'ensemble du potentiel quantique ressenti par les photons ou les électrons individuels". La notion de système de conscience pouvant s'appliquer à chaque particule.

Passons rapidement sur les chapitres 5 et 6. Le premier, sur les forces des Ténèbres, est assez intéressants pour les gens qui ignorent tout du satanisme, avec notamment des éléments sur Staline et Hitler que moi-même je ne connaissais pas. Il a le tort selon moi de ne pas aborder la question du satanisme planétaire de nos élites, mais ce point aveugle du livre s'explique peut-être par les biais spirituels du père Brune, j'y reviendrai. Le chapitre 6 sur les anges, et notamment sur les anges gardiens et les expériences qu'ont eues avec eux diverses personnes est intéressant, quoiqu'insuffisamment critique selon moi à l'égard du Nouvel Age - il fait vaguement référence aux spéculations faites sur leur compte dans cette mouvance, mais il devrait selon moi pousser le soupçon aussi loin que la chantre de l'angéologie New Age le fit, à savoir Doreen Virtue, après sa conversion chrétienne, dans ses divers actes de repentance sur Internet. Là encore la tiédeur du père Brune, qui se pique de mépriser le fondamentalisme chrétien (trop littéraliste à son goût) autant que le matérialisme athée a peut-être sa racine dans un biais spirituel... Il y a eu des messages étonnants par le biais de médiums comme par exemple celui du jeune fils décédé d'un architecte italien qui dit avoir tenté de limiter les effets d'un projet de cambriolage de ses parents en s'introduisant dans l'esprit des voleurs, ce qui suggère une action des "chers trépassés" complémentaire de celle des anges.

Pour cerner ce qui s'est joué dans la Passion du Christ en ses chapitres 7 et 8 François Brune va s'attarder sur les expériences des mystiques à qui il a été demandé par leur souffrance de participer à cette Passion. "La sainteté ne consiste pas à dire de belles choses, elle ne consiste même pas à les penser, à les sentir, elle consiste à bien vouloir souffrir" (Ste Thérèse de Lisieux). Tout en regrettant que les saints aient adopté comme les théologiens occidentaux le langage juridique de la réparation et de l'expiation, Brune veut voir dans cette souffrance un phénomène quantique qui ne vise pas à restaurer l'honneur de Dieu sali par le péché originel mais renouveler à distance les âmes des autres, celles des morts et des vivants dans l'hologramme holochrone. Le phénomène des stigmates, dont Brune affirme qu'ils sont propres à l'Eglise d'Occident et tous postérieurs à St François d'Assise, intéresse notamment par le défi qu'il pose aux lois de la pesanteur (puisque le sang coule toujours dans le même sens, quelle que soit la position membres). A partir du cas de Marie de Jésus crucifié , l'auteur estime que la souffrance oblige l'individu à se sauver par l'amour plutôt que de sombrer dans la révolte ou le désespoir. Il y a aussi celles qui sont des victimes sacrificielles comme les 16 carmélites de Compiègne en 1794, la carmélite Edith Stein, les amies de Gitta Malasz, les 8 000 catholiques de Nagasaki.

Parce qu'il habite en nous, comme on habite en lui, Jésus a connu les effets du péché, même s'il n'en a pas lui-même commis, disait la mystique Adrienne von Speyr qui avait reçu le don d'éprouver le vécu des saints. Jésus sur la croix a rendu son esprit au Père pour ne plus être qu'obéissance, au point qu'il ne ressent même plus la validation du Père. Il est à fond dans l'humanité et Dieu l'y laisse pour réaliser jusqu'au bout l'Incarnation. Beaucoup de Saints ont aussi connu cette séparation (déréliction). Le père Brune les cite. Pour lui, cette gamme de souffrances par où est passé Jésus et qu'ont vécues les mystiques est ce qui fait du christianisme la religion qui va à l'essence la plus profonde du sens de la vie en s'adressant aussi bien au coeur qu'à l'esprit, là où toutes les autres s'en tiennent à des considérations purement intellectuelles. Il y a dans le christianisme une doctrine de la souffrance purificatrice, qui fait qu'on ne peut pas rechercher la souffrance pour elle-même, mais qu'il faut accepter celle que Dieu veut nous attribuer car elle correspond à ce que nous pouvons porter, et Christ viendra nous aider à la porter.

Le père Brune finalement conclut sur cette grandeur de l'amour né de la souffrance en communion et "interpénétration par hologramme" avec la figure du Christ, en condamnant au passage le bouddhisme qui, en refusant la souffrance, inhibe aussi l'amour.

Au bout du compte, le livre de Brune m'inspire assez peu de désaccord. A mon avis il pâtit de deux insuffisances seulement : tout d'abord une trop forte volonté de s'opposer à l'Establishment catholique, qui fait qu'il  ne prend pas seulement ses distances avec Augustin ou Thomas d'Aquin (dont il ose dire p. 242 qu'il "a été assez vite oublié", comme si le doctor angelicus n'avait pas fondé la scolastique !), il s'affranchit aussi du vocabulaire biblique : p. 261 par exemple il fait comme si l'expression "colère de Dieu" était du 18e siècle ! On comprend qu'il s'agit d'un effet malheureux du trop grand attachement de l'auteur à l'Eglise de Rome dont il a été prêtre pendant des décennies. Il me semble que l'indifférence à l'égard de la structure cléricale est meilleure conseillère, l'Eglise véritable étant une réalité mystique.

La deuxième insuffisance, plus problématique, et qui, là, pour le coup, constitue à mes yeux un véritable biais, est l'absence de référence à l'eschatologie. Il semble qu'il manque un livre à la Bible du père Brune, et c'est l'Apocalypse. Du coup il n'interroge pas suffisamment la nature antéchristique de notre époque, et donc il ne situe pas l'intérêt des "signes" que nous offrent les mystiques (voire parfois les adeptes de l'écriture automatique) par rapport à ce contexte luciférien. Or, parfois, cet intérêt est des plus suspects. Le Christ avait lui-même condamné très fermement une génération "avide de signes".

Le Nouveau Testament promet beaucoup de signes et de révélations à l'approche du règne de l'Antéchrist, mais uniquement pour autant que cela servira aux Chrétiens pour le combattre. Cela ne signifie pas qu'il faut aller les rechercher avec une curiosité malsaine (et toute la fascination à laquelle cela peut conduire au détriment du logos !).

N'y a t il pas eu de la part du père Brune une trop grande gourmandise à l'égard des signes, qui l'a fait un peu trop "courir" après le paranormal - là où, à l'opposé, l'Eglise officielle dans ses excès de routine terne versait dans le péché opposé du rationalisme ? Une soif qui l'a peut-être fait manquer le côté diabolique de beaucoup de signes, y compris parfois dans le discours des plus grands mystiques ? J'observe qu'à côté des mots "Apocalypse" et "fin des temps", l'autre terme qui manque au livre du père Brune est le mot "discernement" (par exemple l'expérience des anges de Gitta Mallasz évoque plus celle de l'astrologue Christian Duval que la notion d'ange gardien, voir ci dessous : c'est en fait du pur New Age !). Et c'est un reproche qui est aussi souvent adressé à l'Eglise orthodoxe qu'il admire.

Enfin reste une ultime question : est-ce qu'adopter le vocabulaire para-scientifique cher au New Age des quanta, des hologrammes, des énergies, apporte vraiment une plus value par rapport au vocabulaire traditionnel de l'expiation, de la sanctification, de la communion ? Y a-t-il plus de clarté à employer les termes du monde ? Ceux-ci ont le double inconvénient à mes yeux de rester imprécis, flous, tout en donnant l'illusion de mettre un peu à la portée de l'intelligence humaine ce qui, de toute façon, est censé la dépasser. Au pire cela vient cautionner la possibilité de dialogue avec des courants mystiques athées comme le néo-shivaïsme d'un Deepak Chopra, qui ont en fait aussi peu de rapports avec la spiritualité chrétienne qu'en avait, comme le disait en son temps St Augustin, le manichéisme. Et donc cela rabaisse, qu'on le veuille ou non, la force de la révélation chrétienne. L'apostasie sémantique se paie toujours car elle fait glisser sur la pente de l'hérésie. Quand on dit que le monde est un hologramme holochrone où toutes les époques se concentrent et se renvoient les unes aux autres, ne nie-t-on pas la possibilité d'une fin des temps comme on le disait plus haut ? Dieu est hors du temps (tout en étant dedans) c'est entendu, ne serait-ce que parce qu'étant dans tous les points de l'espace, il vit toutes les époques en même temps. Mais pas l'humain : il ne peut pas se "hisser" à la hauteur de cet étrange " hologramme" "sub specia aeternitatis"..

Le livre de François Brune comme le reste de son oeuvre a le mérite de faire voyager dans des pans mystiques du christianisme que le Vatican a eu le grand tort d'enterrer, mais cette démarche a ses limites si elle ne garde pas un fort ancrage scripturaire biblique, et ne s'accompagne pas d'une forte vigilance à l'égard des écarts lucifériens toujours possibles.

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Philippiens 3:10 : "Afin de connaître Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort"

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"Astrologie et religion au Moyen-Age" de Denis Labouré

22 Mars 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Christianisme, #Alchimie, #Notes de lecture

Un certain fondamentalisme chrétien, qui a eu des antécédents dans l’histoire, tend de nos jours à diaboliser l’astrologie comme pratique divinatoire occultiste. C’est une opinion que combat Denis Labouré, astrologue chrétien, titulaire d’un master de théologie qui, dans un récent essai historique très approfondi, propose une interrogation nouvelle sur l’articulation entre la «science» de la lecture des astres et la foi en la toute puissance divine.

Pour les Pères de l’Eglise, nous dit Denis Labouré, «le monde est un miroir dans lequel Dieu se fait contempler (…) chaque chose est un signe où Dieu se fait connaître à nous». Certes Ignace d’Antioche, Justin, Tertullien et Saint Augustin ont milité contre la divination par les astres, mais Isidore de Séville, en s’appuyant sur le précédent biblique des rois mages, a ouvert la voie à une astrologie qui, sans voir dans la position des étoiles et des planètes une cause de l’histoire humaine, l’analyse comme une série de signes que Dieu envoie aux hommes pour les éclairer sur leur condition.

Rien de mieux, pour convaincre le lecteur, que d’examiner dans une perspective historique, la période faste de l’astrologie chrétienne que l’auteur situe au Moyen-Age, plus précisément entre le XIIe et le XIVe siècles. Denis Labouré retrace précisément la généalogie de cette astrologie occidentale, à travers les auteurs indiens, babyloniens et perses. Il montre comment l’arabe Albumasar (787-886) synthétisa ces traditions et, par ses seuls travaux sur les astres, initia à l’aristotélisme de grands penseurs français ultérieurs comme Thierry de Chartres ou Guillaume de Conches.Pour atténuer la détermination du monde sublunaire par le monde supralunaire, Albert Le Grand (1193-1280), quant à lui, rattacha directement l’âme humaine à la cause première (Dieu) de sorte que les astres n’agissent que sur les corps (y compris les humeurs) ou comme signe du moment opportun, ce qui permit de résister à ceux qui accusent l’astrologie d’asservir l’homme aux démons de la nature, une voie de compromis que suivra Roger Bacon (1214-1294) en mettant l’accent sur l’influence qu’exerce l’astrologie sur les mouvements des foules.

Puis Denis Labouré se concentre sur les recherches d’un astrologue français dont les travaux firent date, Pierre d’Ailly (1351-1420) qui fut en son temps chancelier de l’université de Paris et aumônier du roi Charles VI. L’auteur montre comment le savant s’est positionné à l’égard de ses prédécesseurs sur les grands problèmes intellectuels médiévaux comme la datation de l’univers et la théorie des grandes conjonctions d’Albumasar (la mort des empires en fonction de la conjonction Saturne-Jupiter-Mars). Au terme de ces analyses, Pierre d’Ailly en viendra à voir dans le Grand schisme d’Occident (la dualité des papes), non pas un signe de la fin des temps mais une simple crise incitant à la réforme morale. Il en tirera aussi une vision prémonitoire de 1789 comme tournant de l’histoire du monde… Par ailleurs, en annexe du livre, le lecteur trouvera une intéressante traduction par le professeur Giuseppe Nastri assisté par Denis Labouré du traité du cardinal d’Ailly «Sur la concordance entre l’astronomie et la vérité des récits historiques» qui peut nourrir bien des travaux herméneutiques complémentaires sur la correspondance entre l’histoire humaine et les constellations.

On ne peut manquer d’être impressionné par la somme d’érudition mobilisée par Denis Labouré, féru de calculs astraux, lorsqu’il expose par exemple à propos des conjonctions de Jupiter et de Saturne, schémas à l’appui, que «les conjonctions de Jupiter avec Saturne sont éloignées de 20 ans environ, lorsque Saturne a parcouru les deux tiers de sa révolution (…). Or la longueur de l’arc séparant une conjonction et la suivante (mesurée en sens antihoraire) est légèrement supérieure à 240°. (…) Initiée dans Bélier, un signe de feu, la conjonction de Jupiter avec Saturne se reproduit ensuite dans les deux autres signes du même élément. Puis elle se produit ensuite dans le Bélier». L’aridité de ce genre de démonstration (qui en garantit aussi le sérieux) est toutefois heureusement tempérée par les résumés didactiques que Denis Labouré place à la tête de chaque chapitre et sous-chapitre, faisant de son livre un manuel d’une grande clarté, accessible aux étudiants et à tous les curieux qui, au-delà des modes actuelles - qui abandonnent l’astrologie au néo-paganisme ou aux «sagesses» asiatiques -, veulent comprendre la place que cette discipline a pu avoir, par le passé, dans l’intelligentsia européenne. Il ouvre aussi un champ de réflexion aussi passionnant que complexe sur la valeur que le chrétien accorde au monde créé pour l’éclairer dans son cheminement d’accomplissement spirituel sans rien sacrifier ni de son libre-arbitre ni de l’obéissance à son Créateur.

L'article est aussi ici.

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"Le christianisme aux trois premiers siècles" de Jean-Henri Merle d’Aubigné (1794-1872)

21 Novembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Notes de lecture

Je lisais ce matin "Le christianisme aux trois premiers siècles" du pasteur suisse protestant Jean-Henri Merle d’Aubigné (1794-1872). Le début du livre est très tributaire de l'historiographie de son époque, et partage les mêmes simplifications du regard catholique : à la fin de la République romaine le polythéisme était usé jusqu'à la corde, la philosophie trop élitiste et sans prise sur la vie même des penseurs (voir Sénèque) ne pouvait lui offrir d'alternative, bien qu'elle eut donné quelques notions d'élévation morale. Il se détache du catholicisme après avoir parlé de la grandeur des apôtres. Pour lui le christianisme sombre avec les pères de l'Eglise quand il cherche à devenir religion d'Etat, c'est-à-dire, religion à rompre le rapport individuel de la conscience à Dieu.

D'autres ouvrages protestants recensés ici. Pour lui la persécution des martyrs est l'essence du paganisme (et c'est pourquoi le catholicisme eut tort de se faire persécuteur - d'Aubigné a aussi écrit de belles pages sur le supplice d'Hamilton en Ecosse -dans Ecosse, Suisse,Genève ch V, et sur le côté persécuteur du catholicisme "à la française" à Londres sous Charles Ier). En ce qui concerne les hérésies, pour lui Simon le Magicien est un précurseur des nicolaïtes condamnés par l'Apocalypse, mais il voit aussi des ferments d'hérésie aussi dans l'ascétisme dans l'épître aux Colossiens de Paul. pour d'Aubigné les ébionites sont une hérésie judaïsante et le gnosticisme une hérésie orientalisante, un "dualisme par émanation" qui postule une démiurge mauvaise émanation de Dieu et auteur de la matière renversé par un Christ immatériel (un "Eon"). Les premiers pères apostoliques (Clément Romain, Ignace, Polycarpe, Barnabas, Hermas, Papias) sont des auteurs naïfs. L'école philosophique d'Alexandrie et du Maghreb ne viendra que plus tard. déjà Clément d'Alexandrie reparle de "mériter par la charité" et oublie la doctrine paulinienne de la grâce. Ignace après lui est dans la soif sacrificielle très différente du langage de Paul (Clément d'Alexandrie et Cyprien condamnent cet empressement en expliquant qu'un chrétien qui choisit le martyr se précipite sans attendre que Dieu l'y appelle) et défend une soumission aux évêques. Polycarpe cite plus le Nouveau testament, mais lui aussi abandonne la justification par la foi. Hermas introduit la pénitence organisé et la casuistique. La tradition commence à supplanter la parole (p. 120).

Dans les persécutions antichrétiennes il y a la violence, le dénigrement gratuit. Et puis cette opposition de l'école platonicienne d'Alexandrie. Certains platoniciens comme Justin et Clément sont devenus chrétiens, mais l'école d'Alexandrie les détesta, parce qu'elle était proche d'eux, comme les jansénistes détestèrent les protestants parce qu'ils leur ressemblaient. Celse avec son Discours Véritable vers 150 est de ceux là. Attaquant la religion avec des arguments confus et absurdes, il essaie de faire voir dans le paganisme quelque chose de sublime et de pur, dissimulant les histoires scabreuses des dieux et les pratiques douteuses. Hélas le XVIIIe siècle allait les réhabiliter, par exemple Voltaire faisant l'apologie de l'empereur qu'ils façonnèrent : Julien (p. 185). Lucien est plus sceptique sur les vertus du paganisme, meilleur connaisseur du christianisme, mais sa raillerie des martyrs semble empêtré dans la maladresse. "c'est une coutume diabolique de faire de l'antiquité un argument en faveur du mensonge ; les voleurs et les adultères pourraient aussi se targuer de leur antiquité" (Augustin, Questions sur l'Anc. et le Nouv. testament) Les païens sont sur l'oreiller de paresse qui les décharge du devoir d'examen devant lequel les pères de l'Eglise mettent les chrétiens en les exhortant à lire les textes (par exemple Chrysostome ou Cyprien p. 198). Les pères qui raillent les décrets du Sénat portant les empereurs au Ciel sont aux antipodes du l'éloge des saints divinisés dans le Génie du christianisme de Châteaubriand. Minutius Félix refuse les images. Pour Origène les temples sont nos corps, où chacun oeuvre comme un Phidias. Point de temple dans la Jérusalem céleste (Apoc 21:22).

Le christianisme d'Orient était intellectuel comme celui d'Occident était pratique, comme au 19e siècle la dualité entre l'Allemagne et l'Angleterre (p. 214). Origène qui avait le tort d'être trop ascétique se distingua par son goût de l'Ecriture (il corrigea beaucoup la Bible altérée) et son assistance aux martyrs. Il fut excommunié pour sa croyance en une vie antérieure dans le ciel (et une vie postérieure dans d'autres dimensions, toutes marquées par la chute). Au IIIe siècle se développe le catholicisme en lieu et place de l'évangélisme. Ce n'est pas encore le papisme. Face aux hérésies, les formes et les lois (l'adoration des lieux et des hiérarchies) supplantent l'esprit. Cyprien de Carthage est à la fois un chrétien léger et un prêtre ascétique lourd (traditionaliste, sacramentaliste. Dans l'église aussi il y a la démocratie (le presbytérisme), l'aristocratie (l'épiscopat) et la monarchie (la papauté). A l'époque de Cyprien, ce fut la lutte entre les deux premières formes, avant que le procurateur romain ne lui coupe la tête.

Le livre de d'Aubigné est très subtil et agréable à lire et je le recommande aux internautes oisifs.

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"Les sociétés secrètes érotiques" de Gisèle Laurent

29 Juillet 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture, #Nudité-Pudeur en Europe, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Anthropologie du corps, #Histoire secrète

Un livre étrange d'une auteure dont Internet ne dit rien (on sait juste que Christophe Bourseiller l'a citée dans "Les forcenés du désir" en 2000). Publié en 1961 aux éditions Éditions De La Pensée Moderne, en 1961 en Algérie. En voici un résumé.

L'auteure détaille sur la base d'un témoignage autochtone et de celui d'Evola les rituels sexuels des Khlystis dont Raspoutine fut un initié errant (stranniki), les rituels de Raspoutine décrits par Vera Alexandrovna Choukovskaïa dans ses Mémoires, leur transposition en 1936-37 rue de Vavin à Paris par la comtesse de Naglowska disciple du staretz Tsarkoïe-Selo (c'est sans doute une erreur de plume de l'auteure car c'est là le nom de la résidence des tsars) ointe par les mariavites polonais(*) (la Messe d'Or, la "pendaison sacrée" aux origines sibériennes qui toutefois n'aurait été réellement mise en oeuvre que par Gustav Meyrinck à Prague), les rituels du groupe Kymris du belge Clément de Saint-Marcq au 27 rue Bleue, ceux du frère Michael à Sèvres disciple du Bogomile naturiste bulgare Peter Deunov (de l'ermitage d'Izgrev) (**). Puis elle fait un flash back sur le XVIIIe siècle : les messes noires de Lauzun, la tentative de conception d'un homoncule par Casanova avec la marquise d'Urfé (Mémoires T. VI ch VII), les messes noires de convulsionnaires ou "béguins" sur la tombe du diacre janséniste Pâris au cimetière St Médard jusqu'aux années 1850. Les orgies de la secte des Ansarieh près de Lattaquié en Syrie dans les années 1920, les rituels shivaïtes de Kanda-Swany décrits par Louis Jacolliot à la fin de 19e s, l'hiérodulie des sanctuaires de Kamashka et Shiroba dans l'enclave de Goa, le tantrisme "de la main gauche" des yogi, l'initiation des mao-mao via la sorcellerie sexuelle au Kenya dans les années 50, les pratiques sexuelles rosicruciennes du 17e siècle révélées dans "Le comte de Gabalis" par Nicolas Montfaucon de Villars. L'excision, la ganza africaine, le vaudou et le macumba sont aussi abordés dans le livre.

Gisèle Laurent cite aussi l'Eulis Brotherhood fondée par le "mage mulâtre" Paschal Beverley Randolph, ami d'Alexandre Dumas, formé dans les hauts grades de la Hermetic Botherhood of Luxor et auteur d'une "Magia sexualis" en 1872, trois ans avant sa mort violente et mystérieuse. Elle termine son livre sur les sorcières de Salem et le sabbat des sorcières vu par Margaret Murray comme un simple culte de la fécondité et ses survivances sur l'île de Man et dans les Highlands (pour elle, ces cérémonies s'accompagneraient de pratiques plus choquantes que ce qu'en dit Gardner).

Le livre est assez superficiel. On dirait un petit reportage pour épicer l'imagination du lectorat bourgeois de l'époque. Mais c'est sans doute une photographie exacte des "topoi", des points incontournables des références habituelles dans les années 1960 sur le mysticisme sexuel.

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(*) Les mariavites,condamnés par le Vatican en 1904 mais soutenus par l'occupant russe, étaient une secte quiétiste vouée à la mortification, dirigée par la visionnaire Falicia (Félicité) Kozlowska, tertiaire franciscaine à Plozk, violente à l'égard des prêtres catholiques mais tolérante envers les autres religions dans les écoles qu'ils administraient. Ils communiaient avec des petits papiers à l'effigie de Marie et prônaient la chasteté comme les manichéens. Ils ordonnaient des femmes, et, après la mort de Felicia Kozlowska en 1921, ils vénérèrent sa présence réelle dans l'hostie. L'archevêque Jean Kowalski qui avait pris l'ascendant sur la visionnaire de son vivant et, après sa mort, imposa le mariage mystique entre religieux arrangé par les chefs, et, au profit des hauts dignitaires, une polygamie, transformant le monastère de Plozk en harem personnel. Cela leur valut de rompre avec les vieux catholiques en 1924 après une rencontre entre Kennick et Kowalski à Berne. Les effectifs de la secte fondirent de quelques centaines de milliers avant guerre à moins de cent mille, et Kowalski fut condamné pour atteinte aux bonnes moeurs sur des mineures en 1928 (il ne purgea que 2 ans et 8 mois puis fut amnistié).

(**) Voir le reportage que lui consacre Paris-Soir en 1943.

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"Burkini" de JC Kaufmann

24 Juillet 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture, #Anthropologie du corps

Jean Claude Kaufmann n'a qu'un bon livre à son actif "Corps de femmes regards d'hommes" paru en 1995 qu'il a souvent plagié depuis lors.

Au fil des ans, le sociologue a tenté de jouer les théoriciens (par exemple avec son ouvrage "Ego") et du coup le péché d'orgueil l'a saisi. Par ce péché, le dernier livre de Kaufmann est très marqué (par exemple quand il claironne en p. 20 qu'à l'été 2016 les médias se sont bousculés pour l'interviewer sur le burkini et lui demander d' "énoncer le sens du bien et du mal" devant une "société sans repères", mais que lui, esprit supérieur, a refusé de répondre préférant pondre un livre sur le sujet (et quel livre hautement médité dont il a accouché en moins de six mois !). On attribuera sans doute à cette immodestie le côté intellectuellement très superficiel du livre, et aussi ses incroyables approximations factuelles : voyez par exemple en page 29 comment il traite l'incident de Châteauneuf-sur-Charentes "une jeune femme se baigne seins nus" écrit-il alors qu'elle jouait au ping pong (voir mon billet il y a un an), ce qui change toute la problématique contextuelle : un sein qui remue dans une activité sportive n'a rien à voir sur le plan des normes de pudeur avec le sein d'une baigneuse (on se demande comment un sociologue parvient à raisonner sur la base de faits inexacts... quand on fait de la sociologie journalistique, le minimum est de coller au réel...).

Comme toujours le style du sociologue est une resucée de la doxa contemporaine, même pas consciente de ressortir des clichés, étalée au mépris de la neutralité scientifique. Ainsi sans justification il écarte comme trop simpliste (p. 48) la thématique du néo-colonialisme avancée par certains intellectuels anglo-saxons pour expliquer l'hostilité française au burkini. Un coup à gauche contre les anti-impérialistes, un coup à droite contre les sarkozystes (p. 16), histoire de rester dans le camp d'une bien-pensance centriste. Encore un petit clin d'oeil aux clichés consensuels p.50  "Vues de Sydney, les plages étaient devenues assimilables à une sorte de Corée du Nord, soumises à des règles tout aussi incompréhensibles, grotesques et scandaleuses que celles qui prévalent dans le régime de Kim Jong-un" ("incompréhensibles, grotesques et scandaleuses", il faut y aller avec de gros sabots pour le lecteur bourgeois urbain, pour le cas où il n'aurait pas compris que la Corée du Nord est un pays ubuesque comme la grande presse le lui répète à longueur d'année).

L'auteur révèle ses lacunes historiques quand il juge "improbable" l'union entre le laïcisme de centre-gauche d'E. Valls et l'extrême droite (il ignore les connivences entre ces deux tendances dans le colonialisme du XIXe siècle ou au temps de la politique anti-voile du gouverneur général d'Algérie Lacoste en 1956-58) et l'on cherchera en vain des analyses sophistiquées dans son livre. Mais il a au moins le mérite de montrer que le burkini n'est pas un vêtement islamique intégriste, qu'il résulte d'un compromis entre religiosité et désir de vivre les plaisir de la mer. Il résume assez bien la thèse de Khaoula Matri sur le port du voile (p. 143), fournit des statistiques intéressantes sur les rapports des femmes musulmanes au voile (p. 112) et enseigne aux Français un épisode étouffé par les médias australiens en décembre 2005 : les rixes de la plage de Cronulla à l'origine de l'invention du burkini. Ce n'est déjà pas si mal.

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