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Deux pépites dans la "Vie de Périclès" de Plutarque

28 Avril 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

pericles.jpg1) "César voyant, à Rome, de riches étrangers qui allaient partout portant dans leur giron de petits chiens et de petits singes, et les caressant avec tendresse, s’enquit, dit-on, si, dans leur pays, les femmes ne faisaient pas d’enfants. C’était une façon tout impériale de reprendre ceux qui dépensent, sur des bêtes, ce sentiment d’amour et d’affection que la nature a mis dans nos cœurs, et dont les hommes doivent être l’objet."

 

2) "Un jour, à ce que l'on conte, on avait apporté de la campagne à Périclès une tête de bélier, qui n’avait qu’une corne. Le devin Lampon observa que cette corne partait du milieu du front, et qu’elle était forte et pleine : « Deux hommes, Thucydide et Périclès mènent aujourd’hui, dit-il, les affaires de l’État ; mais tout le pouvoir se trouvera bientôt réuni entre les mains de celui chez lequel est né ce prodige. » Pour Anaxagore, il ouvrit cette tête ; et il fit voir que la cervelle ne remplissait pas la cavité destinée à la contenir, mais que, détachée de toutes les parois du crâne, elle s’était resserrée et allongée en forme d’œuf, vers le point où s’enfonçait la racine de la corne. Tous ceux qui étaient présents à cette démonstration admirèrent d’abord Anaxagore ; mais, peu de temps après, leur admiration se tourna aussi vers Lampon, car le parti de Thucydide fut renversé, et le gouvernement passa tout entier aux mains do Périclès. Au reste, il a fort bien pu se faire que, sur un même sujet, le physicien et le devin rencontrassent juste, l’un en expliquant la cause du phénomène, l’autre en en donnant la signification prophétique. Le premier devait, en effet, rechercher par quel principe et de quelle manière ce phénomène s’était produit ; et le second, dans quel but, et ce qu’il annonçait. Or, ceux qui prétendent qu’en découvrant la cause, on fait disparaître le prodige, ne s’aperçoivent pas que, par ce raisonnement, ils anéantissent, tout à la fois, et les signes qui nous sont envoyés du ciel, et.les signes de convention créés par la main des hommes, comme le son des disques, la lumière des fanaux, l’ombre des gnomons : toutes choses imaginées dans un but, et préparées pour ce but, qui est un signe de convention. "

 

Toute la différence entre sociologie compréhensive et sociologie explicative est dans le point (2) vous ne trouvez pas ? (je ne pose la question que sous l'angle qui intéresse mon statut de chercheur associé au laboratoire Cultures et sociétés en Europe à l'université de Strasbourg, mais bien sûr il y a d'autres angles tout aussi intéressants sinon plus...)

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Massalia, ville Pythagoricienne et républicaine

23 Avril 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Histoire secrète, #Sainte-Baume

Le passé grec de Marseille (Massalia, Massilia pour les Latins) étant enfoui sous les pieds de ses habitants (il n'y a pas de vestige apparent de théâtres ou d'agora), les Marseillais n'ont pas forcément conscience de ce que fut leur ville qui était le phare de l'hellénisation de la Gaule et même d'une partie de l'Espagne.

 

massalia.jpg

 

Pour moi, Marseille c'est d'abord la ville placée sous la protection du Soleil et de la Lune, les deux jumeaux Apollon et Artémis, qui y avaient tous les deux un grand temple. Artémis, l'Artémis d'Ephèse, la déesse-mère (les Phocéens étaient d'Asie mineure) surtout était la protectrice de Marseille (comme le seront les diverses Notre Dame, "Bonne mère", et Saintes Maries ensuite), et il n'est pas étonnant que les Massaliotes aient fondé un artémison à la grotte de Sainte-Baume, avant qu'elle ne soit dédiée à Marie-Madeleine (dont on pourrait aussi démontrer les liens avec Pythagore dans les Evangiles, mais c'est une autre histoire).

 

Pour moi, il n'est pas étonnant d'apprendre que Marseille est une ville pythagoricienne (Pythagore lui aussi lié à Apollon par son nom, et à la terre-mère, donc aux déesses mères aussi, par ses affinités avec Déméter et avec la Géométrie - la mesure de la terre mère - dont le pythagoricien Philolaos, je crois, disait qu'elle était la métro-pole, la ville-mère, des autres disciplines). C'est à partir de Marseille que s'est développée en Gaule la congrégation des druides qui, comme les pythagoriciens et sous leur inspiration, croyaient en la réincarnation, portaient des vêtements etc (d'ailleurs le mot druide vient d'un mot grec qui signifie chêne et était étranger à la tradition celtique avant la fondation de Marseille).

 

Il n'est pas étonnant non plus à mes yeux qu'un grand navigateur comme Pythéas (l'homme qui découvrit la banquise - Thulé) ait été aussi un mathématicien et un astronome qui donnait l'heure et les dates des saisons des moissons à sa ville (Pythéas, explorateur et astronome d'Y. Georgelin) et ait été un fin pythagorcien. Son observatoire était peut-être au niveau du temple d'Artémis ou de celui d'Apollon, dit-on, et certains auteurs prêtent à son bateau le nom d'Artémis. Il part vers le pôle, uniquement pour pouvoir mesurer la terre-mère, en géomètre, et découvre incidemment l'influence de la lune sur les marées (dans son livre Péri okéanou) dans l'Océan atlantique (ses affinités avec Artémis ne l'y prédisposaient-elles pas ?), mais les géographes postérieurs ne le crurent pas.

 

Marseille comptait beaucoup pour les Romains car elle était leur alliée en Gaule notamment pour contenir les invasions celtiques et germaniques. J'en ai pris conscience en lisant Cicéron (qui était très lié aux Gaulois et avait des clients chez les Allobroges) qui dans son Traité des Devoirs trouve qu'un des pires crimes de Jules César est d'avoir fait défiler les insignes de Marseille dans son triomphe à Rome (à la fin des guerres civiles). Marseille était restée fidèle au parti légitimiste, celui du Sénat et de Pompée, ce que César allait lui faire payer cher en ruinant son hégémonie commerciales dans le Sud de la Gaule au profit d'Arles (Arelate).

 

Le récit de la bataille de Marseille en 49 av. JC, écrit par Lucain un siècle plus tard sous Néron (ci dessous) est très parlant, avec des anecdotes sublimes, notamment celle sur l'abattage du bois sacré de Marseille.

 

Le lien entre les pythagoriciens et les systèmes républicains me paraît aussi développé dans la vie d'Apollonios de Tyane (j'y reviendrai).

 

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Fin du Livre III de la Pharsale (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/lucain/livre3.htm) -

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Résistance de Marseille et discours de ses députés à César.


Mais tandis que les autres nations frémissent au nom de César, Marseille, colonie de Phocée ose rester fidèle à son alliance (55), garde la foi jurée ; et toute grecque qu'elle est, préfère le parti le plus juste au plus heureux. Cependant elle veut essayer par un langage pacifique de fléchir la fureur indomptable de César et la dureté de cette âme superbe. Ses députés s'avancent, l'olive de Minerve dans les mains, au-devant de César et de ses légions.

 

"Romains, dirent-ils, vos annales attestent que, dans les guerres du dehors, Marseille a, dans tous les temps, partagé les travaux et les dangers de Rome ; aujourd'hui même, si tu veux, César, chercher dans l'univers de nouveaux triomphes, nos mains vont s'armer et te sont dévouées : mais si dans les combats où vous courez, Rome, ennemie d'elle-même, va se baigner dans son propre sang, nous n'avons à vous offrir que des larmes et un asile. Les coups que Rome va se porter nous seront sacrés. Si les dieux s'armaient contre les dieux, ou si les géants leur déclaraient la guerre, la piété des humains serait insensée d'oser vouloir les secourir par des vœux ou par des armes ; et ce n'est qu'au bruit du tonnerre que l'homme, aveugle sur le destin des dieux, saurait que Jupiter règne encore aux cieux. Ajoutez que des peuples sans nombre accourent de toutes parts, et que ce monde corrompu n'a pas assez le crime en horreur pour que vos guerres domestiques manquent de glaives. Et plût aux dieux que la terre entière pensât comme nous, qu'elle refusât de seconder vos haines, et que nul étranger ne voulut se mêler à vos combattants ! Est-il un fils à qui les armes ne tombassent des mains à la rencontre de son père ? Est-il des frères capables de lancer le javelot contre leur frère ? La guerre est finie, si vous êtes privés du secours de ceux à qui elle est permise. Pour nous, la seule grâce que nous vous demandons, c'est de laisser loin de nos remparts ces drapeaux, ces ailes terribles, de daigner vous fier à nos murs, et de consentir que nos portes soient ouvertes à César et fermées à la guerre. Qu'il reste sur la terre un asile inaccessible et sûr où Pompée et toi, si jamais le malheur de Rome vous touche et vous dispose à un accord, vous puissiez venir désarmés. Du reste, qui peut t'engager, quand la guerre t'appelle en Espagne, à suspendre ici ta marche rapide ? Nous ne sommes d'aucun poids dans la balance des destins du monde. Depuis que ce peuple, exilé de son ancienne patrie, a quitté les murs de Phocée livrés aux flammes (56), quels ont été nos exploits ?

 

Enfermés dans d'étroites murailles, et sur un rivage étranger, notre bonne foi seule nous rend illustres. Si tu prétends assiéger nos murs et briser nos portes, nous sommes résolus à braver le fer et la flamme, et la soif et la faim. Si tu nous prives du secours des eaux, nous creuserons, nous lécherons la terre ; que le pain nous manque, nous nous réduirons aux aliments les plus immondes. Ce peuple aura le courage de souffrir pour sa liberté tous les maux que supporta Sagonte assiégée par Hannibal. Les enfants arrachés des bras de leurs mères, presseront en vain leurs mamelles taries et desséchées par la faim et seront jetés fans les flammes : l'épouse demandera la mort à son époux chéri, les frères se perceront l'un l'autre, et cette guerre domestique leur fera moins d'horreur que celle où tu veux nous forcer. "

Réponse de César.

Ainsi parlèrent les guerriers grecs ; et César dont la colère enflammait les regards, la laisse éclater en ces mots : "Ces Grecs comptent vainement sur la rapidité de ma course. Tout impatient que je suis de me rendre aux extrémités de la terre, j'aurai le temps de raser ces murs. Réjouissez-vous, soldats, le sort met sur votre passage de quoi exercer votre valeur. Comme les vents ont besoin d'obstacles pour ramasser leurs forces dissipées et comme la flamme a besoin d'aliment, ainsi nous avons besoin d'ennemis. Tout ce qui cède nous dérobe la gloire de vaincre que la révolte nous offrirait. Marseille consent à m'ouvrir ses portes, si j'ai la bassesse de m'y présenter seul et sans armes. C'est peu de m'exclure, elle veut m'enfermer ! Croit-elle se dérober à la guerre qui embrase le monde ? Vous serez punis d'avoir osé prétendre à la paix ! et vous apprendrez que du temps de César, il n'y a point d'asile plus sûr au monde que la guerre sous mes drapeaux. "

Il marche vers Marseille pour en faire le siège;  premiers travaux.

Il dit, et marche vers les murs de Marseille, où nul ne tremble. Il trouve les portes fermées et les remparts couverts d'une armée nombreuse et résolue.

 

Non loin de la ville est une colline dont le sommet aplani forme un terrain spacieux. Cette hauteur, où il est facile à César de se retrancher par une longue enceinte, lui présente un camp avantageux et sûr. Du côté opposé à cette colline, et à la même hauteur, s'élève un fort qui protège la ville, et dans l'intervalle sont des champs cultivés.
César trouve digne de lui le vaste projet de combler le vallon et de joindre les deux éminences. D'abord, pour investir la ville du côté de la terre, il fait pratiquer un long retranchement du haut de son camp jusqu'à la mer. Un rempart de gazon couvert d'épais créneaux, doit embrasser la ville et lui couper les eaux et les vivres qui lui viennent des champs voisins. Ce sera pour la ville grecque un honneur immortel, un fait mémorable dans tous les âges, d'avoir soutenu sans abattement les approches de la guerre, d'en avoir suspendu le cours ; et tandis que l'impétueux César entraînait tout sur son passage, de n'avoir seule été vaincue que par un siège pénible et lent. Quelle gloire, en effet, de résister aux destins, et de retarder si longtemps la Fortune impatiente de donner un maître à l'univers !

 

Les forêts tombent de toutes parts et sont dépouillées de leurs chênes ; car il fallait que, le milieu du rempart n'étant comblé que de légers faisceaux couverts d'une couche de terre, les deux bords fussent contenus par des pieux et des poutres solidement unies, de peur que ce terrain mal affermi ne s'écroulât sous le poids des tours.

Description de la forêt sacrée de Marseille que César fait abattre.

Non loin de la ville était un bois sacré, dès longtemps inviolé, dont les branches entrelacées écartant les rayons du jour, enfermaient sous leur épaisse voûte un air ténébreux et de froides ombres. Ce lieu n'était point habité par les Pans rustiques ni par les Sylvains et les nymphes des bois. Mais il cachait un culte barbare et d'affreux sacrifices. Les autels, les arbres y dégouttaient de sang humain ; et, s'il faut ajouter foi à la superstitieuse antiquité, les oiseaux n'osaient s'arrêter sur ces branches ni les bêtes féroces y chercher un repaire ; la foudre qui jaillit des nuages évitait d'y tomber, les vents craignaient de l'effleurer. Aucun souffle n'agite leurs feuilles ; les arbres frémissent d'eux-mêmes. Des sources sombres versent une onde impure ; les mornes statues des dieux, ébauches grossières, sont faites de troncs informes ; la pâleur d'un bois vermoulu inspire l'épouvante. L'homme ne tremble pas ainsi devant les dieux qui lui sont familiers. Plus l'objet de son culte lui est inconnu, plus il est formidable. Les antres de la forêt rendaient, disait-on, de longs mugissements ; les arbres déracinés et couchés par terre se relevaient d'eux-mêmes ; la forêt offrait, sans se consumer, l'image d'un vaste incendie ; et des dragons de leurs longs replis embrassaient les chênes. Les peuples n'en approchaient jamais. Ils ont fui devant les dieux. Quand Phébus est au milieu de sa course, ou que la nuit sombre enveloppe le ciel, le prêtre lui-même redoute ces approches et craint de surprendre le maître du lieu.
Ce fut cette forêt que César ordonna d'abattre, elle était voisine de son camp, et comme la guerre l'avait épargnée, elle restait seule, épaisse et touffue, au milieu des monts dépouillés. à cet ordre, les plus courageux tremblent. La majesté du lieu les avait remplis d'un saint respect, et dès qu'ils frapperaient ces arbres sacrés, il leur semblait déjà voir les haches vengeresses retourner sur eux-mêmes.

 

César voyant frémir les cohortes dont la terreur enchaînait les mains, ose le premier se saisir de la flache, la brandit, frappe, et l'enfonce dans un chêne qui touchait aux cieux. Alors leur montrant le fer plongé dans ce bois profané : "Si quelqu'un de vous, dit-il, regarde comme un crime d'abattre la forêt, m'en voilà chargé, c'est sur moi qu'il retombe." Tous obéissent à l'instant, non que l'exemple les rassure, mais la crainte de César l'emporte sur celle des dieux. Aussitôt les ormes, les chênes noueux, l'arbre de Dodone, l'aune, ami des eaux, les cyprès, arbres réservés aux funérailles des patriciens ; virent pour la première fois tomber leur longue chevelure, et entre leurs cimes il se fit un passage à la clarté du jour. Toute la forêt tombe sur elle-même, mais en tombant elle se soutient et son épaisseur résiste à sa chute.

 

A cette vue tous les peuples de la Gaule gémirent, mais captive dans ses murailles, Marseille s'en applaudit. Qui peut se persuader, en effet, que les dieux se laissent braver impunément et cependant combien de coupables la Fortune n'a-t-elle pas sauvés ! Il semble que le courroux du ciel n'ait le droit de tomber que sur les misérables.

 

Quand les bois furent assez abattus, on tira des campagnes voisines des chariots pour les enlever ; le laboureur consterné vit dételer ses taureaux, et, obligé d'abandonner son champ, il pleura la perte de l'année.
César trop impatient pour se consumer dans les longueurs d'un siège, tourne ses pas du côté de l'Espagne et ordonne à la guerre de le suivre vers cette extrémité du monde.

 

Le rempart s'élève sur de solides palissades, et reçoit deux tours de la même hauteur que les murs de la citadelle.

 

Ces tours ne sont point attachées à terre, mais elles roulent sur des essieux obéissant à une force cachée. Les assiégés, du haut de leur fort, voyant ces masses s'ébranler, en attribuèrent la cause à quelque violente secousse qu'avaient donnée à la terre les vents enfermés dans son sein ; et ils s'étonnèrent que leurs murailles n'en fussent pas ébranlées ; mais tout à coup, du haut de ces tours mouvantes, tombe sur eux une grêle de dards. De leur côté, volent sur les Romains des traits plus terribles encore ; car ce n'est point à force de bras que leurs javelots sont lancés : décochés par le ressort de la baliste, ils partent avec la rapidité de la foudre, et au lieu de s'arrêter dans la plaie, ils s'ouvrent une large voie à travers l'armure et les os fracassés, y laissent la mort et volent au delà avec la force de la donner encore.

 

Cette machine formidable lance des pierres d'un poids énorme, et qui, pareilles à des rochers déracinés par le temps et détachés par un orage, brisent tout ce qu'elles rencontrent. C'est peu d'écraser les corps sous leur chute, elles en dispersent au loin les membres ensanglantés.

 

Mais à mesure que les assiégeants s'approchaient des murs, à couvert sous la tortue (57), les traits qui de loin auraient pu les atteindre, passaient au-dessus de leurs têtes; et il n'était pas facile aux ennemis de changer la direction de la machine qui les lançait. Mais la pesanteur des rochers leur suffit pour accabler tout ce qui s'approche; et ils se contentent de les rouler à force de bras du haut des murailles. Tant que les boucliers des Romains sont unis et qu'ils se soutiennent l'un l'autre, ils repoussent les traits qui les frappent, comme un toit repousse la grêle qui, sans le briser, le fait retentir. Mais sitôt que la force du soldat épuisée laisse rompre cette espèce de voûte, chaque bouclier seul est trop faible pour soutenir tous les coups qu'il reçoit. Alors on fait avancer le mantelet  (58) couvert de terre, sous cet abri, sous ce front couvert, on se prépare à battre les murs et à les ruiner par la base. Bientôt le bélier dont le balancement redouble les forces, frappe et, tente de détacher ces longues couches de pierre qu'un dur ciment tient enchaînées et que leur poids même affermit. Mais le toit qui protège les Romains, chargé d'un déluge de feu, ébranlé par les masses qu'on y fait tomber et par les poutres qui, du haut des murs, travaillent sans cesse à l'abattre, ce toit tout à coup s'embrase et s'écroule, et, accablés d'un travail inutile, les soldats regagnent leur camp.

Les Marseillais font une sortie nocturne, et brûlent les machines de l'ennemi

Les assiégés n'avaient d'abord espéré que de défendre leurs murailles, ils osent risquer une attaque au dehors. Une jeunesse intrépide sort à la faveur de la nuit : elle n'a pour armes ni la lance, ni l'arc terrible, ses mains ne portent que la flamme cachée à l'ombre des boucliers.

 

L'incendie se déclare : un vent impétueux le répand sur tous les travaux de César. Le chêne vert a beau résister, les progrès du feu n'en sont pas moins rapides; partout où les flambeaux. s'attachent, le feu s'élance sur sa proie, et des tourbillons de flamme se mêlent dans l'air à d'immenses colonnes de fumée. Non seulement les bois entassés, mais les rochers eux-mêmes sont embrasés et réduits en poudre. Tout le rempart s'écroule en même temps, et dans ses débris dispersés, la masse en paraît agrandie.

Les Romains veulent tenter la fortune sur mer ; description des deux flottes

Les Romains, sans ressource du côté de la terre, tentent la fortune sur mer. Déjà Brutus sur le vaisseau Prétorien, semblable à une forteresse, avait abordé aux îles Stéchades, accompagné d'une flotte que le Rhône avait vu construire et qu'il avait portée à son embouchure. On y joint des navires faits à la hâte, non de bois peints et décorés, mais de chênes grossièrement taillés, et tels qu'ils tombaient des montagnes ; du reste, fortement unis et formant un plancher solide et commode pour le combat.

 

Marseille, de son côté, s'est résolue à courir avec toutes ses forces le hasard d'un combat. Les vieillards eux-mêmes ont pris les armes et viennent se ranger parmi les jeunes citoyens. Non seulement les vaisseaux en état de servir, mais ceux qui dans le port tombaient en ruine et qu'on a réparés, sont chargés de combattants.

 

Le soleil matinal répandait sur la face des eaux ses rayons brisés par les ondes. Le ciel était sans nuage, les vents en silence laissaient régner dans. l'air le calme et la sérénité, et la mer semblait s'aplanir pour la bataille. Alors chaque navire quitte sa place, et d'un mouvement égal, s'avancent des deux côtés ceux de Marseille et ceux des Romains. D'abord, la rame les ébranle, et bientôt à coups redoublés elle les soulève et les fait mouvoir. La flotte des Romains était rangée en forme de croissant. Les solides galères et les navires à quatre rangs de rames forment un demi-cercle de bâtiments innombrables. Cette force redoutable fait face à la pleine mer. Au centre du croissant rentrent les vaisseaux liburniens, fiers de leur double rang de rames. Au-dessus de tous s'élevait la poupe du vaisseau de Brutus. Six rangs de rameurs lui faisaient tracer un sillon vaste au sein de l'onde, et ses rames les plus élevées s'étendaient au loin sur la mer.

Combat naval, dans lequel les Marseillais sont vaincus ; longue et poétique description de la mêlée, de ses accidents terribles et bizarres.

Dès que les flottes ne sont plus séparées que par l'espace qu'un vaisseau peut parcourir d'un seul coup d'aviron, mille voix remplissent les airs, et l'on n'entend plus à travers ces clameurs ni le bruit des rames, ni le son des trompettes.

 

On voit les rameurs balayer les flots et renversés sur les bancs se frapper la poitrine de leurs rames. Les proues se heurtent à grand bruit, les vaisseaux virent de bord, mille traits lancés se croisent dans l'air, bientôt la mer en est couverte. Déjà les deux flottes se déploient et les vaisseaux divisés se donnent un champ libre pour le combat. Alors, comme dans l'Océan, si le flux et le vent sont opposés, la mer avance et le flot recule; de même les vaisseaux ennemis sillonnent l'onde en sens contraire, la masse d'eau que l'un chasse est à l'instant repoussée par l'autre. Mais les vaisseaux de Marseille étaient plus propres à l'attaque, plus légers à la fuite, plus faciles à ramener par de rapides évolutions, enfin plus dociles à l'action du gouvernail. Ceux des Romains, au contraire, avaient pour eux l'avantage d'une assiette solide, et l'on y pouvait combattre comme sur la terre ferme.

 

Brutus dit donc à son pilote assis sur la poupe : "Pourquoi laisser les deux flottes se disperser sur les eaux, est-ce d'adresse que tu veux combattre ? Engage la bataille, et que nos vaisseaux présentent le flanc à la proue ennemie." Le pilote obéit et présente son vaisseau en travers de l'ennemi. Dès lors chaque vaisseau qui, de sa proue, heurte le flanc des vaisseaux de Brutus, y reste attaché, vaincu par le choc, et retenu captif par le fer qu'il enfonce. D'autres sont arrêtés par des griffes d'airain , ou liés par de longues chaînes. Les rames se tiennent enlacées, et les deux flottes couvrant la mer forment un champ de bataille immobile. Ce n'est plus le javelot, ce n'est plus la flèche qu'on lance ; on se joint, on combat l'épée à la main. Chacun du haut de son bord se penche au-devant du fer ennemi ; les morts tombent hors du bord qu'ils défendent. Les eaux sont couvertes d'une écume de sang, la mer profonde en est épaissie, et les cadavres suspendus entre les flancs des vaisseaux, rendent impuissants les efforts que fait l'un des deux pour attirer l'autre. Parmi les combattants, les uns qui respirent encore en tombant, boivent leur sang avec l'onde amère ; d'autres luttant contre une mort lente, sont tout à coup ensevelis avec leur vaisseau qui s'entrouvre. Les traits qui volent en vain ne tombent pas de même, et s'ils ont manqué leur première victime, il s'en trouve mille à frapper sur les eaux. L'une de nos galères, environnée de celles de Marseille, avait déployé ses forces sur ses deux bords et les défendait en même temps avec une égale intrépidité. Ce fut là que le brave Catus, combattant du haut de la poupe et voulant enlever le pavillon ennemi, reçoit deux flèches par de qui se croisent en lui perçant le cœur. D'abord son sang hésite, incertain par quelle plaie il va s'écouler ; mais repoussant à la fois les deux flèches, il s'ouvre à grands flots l'un et l'autre passage, et semble, en divisant l'âme de ce guerrier, payer un double tribut à la mort.

 

Dans ce combat s'était engagé le malheureux Télon, celui des Phocéens qui maîtrisait le mieux un navire dans la tempête. Jamais pilote n'a mieux prévu les variations de l'air annoncées par le soleil ou par le croissant de la lune ; toujours ses voiles étaient disposées pour le vent qui allait se lever.  Il avait brisé du fer de sa proue le flanc du vaisseau qu'il attaquait. Mais un javelot lui perça le sein ; et le dernier effort de sa main défaillante fut de détourner son vaisseau.  Giarée va pour le remplacer et saute sur sa poupe. Le trait mortel le cloue au moment qu'il s'élance, l'attache et le tient suspendu au navire.

 

Il y avait deux jumeaux, la gloire de leur féconde mère. Les mêmes flancs les avaient conçus pour des destins bien différents. La cruelle mort distingua ces frères (59) que leurs parents confondaient tous les jours. Hélas ! cette douce erreur est détruite : l'un d'eux a péri, et celui qui leur reste, éternel objet de leurs larmes, nourrit sans cesse leur douleur en leur offrant l'image de celui qui n'est plus. Ce malheureux jeune homme, voyant les rames de son vaisseau entrelacées avec celles d'un vaisseau romain, osa porter la main sur le bord ennemi (60) : un fer pesant tombe sur sa main et la coupe, mais sans lâcher prise, elle se roidit, attachée au bois qu'elle a saisi. Le malheur ne fit qu'irriter le courage du guerrier mutilé. De l'intrépide main qui lui reste, il veut reprendre celle qu'il a perdue ; mais un nouveau coup lui détache le bras et la main dont il combattait. Alors, sans bouclier, sans armes, il ne va point se cacher au fond du vaisseau ; mais de son corps exposé aux coups, il fait un rempart à son frère. Percé de flèches, il se tient debout, et après le coup qui suffit à sa mort, il en reçoit mille, qui tous seraient mortels, et qu'il épargne à ses amis.  Enfin, comme il sent que son âme va s'échapper par tant de plaies, il la ramasse et la retient dans ce corps défaillant ; il emploie tout le sang qui lui reste à tendre un moment les ressorts de ses membres, et consumant dans un dernier effort tout ce qu'il a de vie et de force, il se précipite sur le bord ennemi pour nuire au moins par le poids de sa chute.

 

Ce vaisseau, comblé de cadavres, regorgeant de sang, brisé par les coups redoublés des proues, s'entrouvre enfin de toutes parts. L'eau perce à travers ses flancs fracassés, et, dès qu'il est plein jusqu'aux bords, il s'engloutit, et dans son tourbillon il enveloppe les flots qui l'entourent. L'onde recule, l'abîme s'ouvre, la mer retombe et le remplit.

 

Dans ce jour, le sort des combats étala sur la mer ses prodiges. Le fer recourbé que les Romains jetaient sur une galère ennemie atteignit un guerrier nommé Licidas, et il l'entraînait dans les flots. Ses compagnons veulent le retenir ; les jambes qu'ils saisissent leur restent ; le haut du corps en est détaché ; son sang ne s'écoule pas avec lenteur, comme par une plaie, mais il jaillit à la fois par tous ses canaux brisés, et le mouvement de l'âme qui circule de veine en veine est tout à coup interrompu. Jamais la source de la vie n'eut pour s'épancher une voie aussi vaste. La moitié du corps, qui n'avait que des membres épuisés de sang et d'esprit, fut à l'instant la proie de la mort ; mais celle où le poumon respire, où le cœur répand la chaleur, lutta longtemps avant que de subir le sort de l'autre moitié de lui-même.

 

Tandis qu'une troupe, obstinée à la défense de son vaisseau, se presse en foule sur le bord qu'on attaque et laisse sans défense le flanc qui n'a point d'ennemis, le navire penché du côté qu'elle appesantit, se renverse, et couvre d'une voûte profonde et la mer et les combattants. Leurs bras ne peuvent se déployer et ils périssent comme enfermés dans une étroite prison. 

 

Alors on ne voit partout que l'affreuse image d'une mort sanglante. Tandis qu'un jeune homme se sauve à la nage, deux vaisseaux qui vont se heurter le percent du bec de leurs proues ; et ses os brisés par ce choc terrible n'empêchent pas l'airain de retentir. De ses entrailles écrasées, de la bouche le sang  jaillit au loin dans les airs ; et lorsque les deux vaisseaux s'éloignent, son corps transpercé tombe au sein des eaux. Une foule de malheureux prêts à périr et se débattant contre la mort tâchent d'aborder une de leurs galères ; mais dès qu'ils veulent s'y attacher, comme elle chancelle et va périr sous une charge trop pesante, du haut du bord, un fer impie coupe les bras sans pitié. Ces bras suppliants restent suspendus, les corps s'en détachent et tombent dans l'abîme, car l'eau ne peut plus soutenir le poids de ces corps mutilés.

 

Déjà les combattants ont épuisé leurs traits, mais leur fureur invente des armes. Les uns chargent l'ennemi à coups de rames, les autres saisissent les antennes et les lancent à force de bras. Les rameurs arrachent leurs bancs et les font voler d'un bord à l'autre. On brise le vaisseau pour combattre. Ceux-ci foulant aux pieds les morts, les dépouillent du fer dont ils sont percés ; ceux-là blessés d'un trait mortel, le retirent de la plaie et la ferment d'une main pour que le sang retenu dans les veines donne à l'autre main plus de force ; qu'il s'écoule après que le javelot est parti, c'est assez.

 

Mais rien ne fit dans ce combat autant de ravage que le feu, cet ennemi de l'Océan. La poix brûlante, le soufre, la cire enflammée répandent l'incendie avec elles. L'onde ne peut vaincre la flamme et des vaisseaux brisés dans le combat; un feu dévorant poursuit et consume les débris épars sur les eaux. L'un ouvre son navire aux ondes, pour éteindre l'incendie, l'autre pour éviter d'être submergé, s'accroche aux poutres brûlantes. De mille genres de mort., le seul que l'on craigne est celui dont on se voit périr. Le naufrage même n'éteint pas la valeur. On voit ceux qui nagent encore ramasser les traits répandus sur la mer et les fournir à leurs compagnons qui combattent sur les vaisseaux, ou, d'une main mal assurée s'efforcer de les lancer eux-mêmes. Si le fer manque, l'onde y supplée, l'ennemi s'attache avec fureur à son ennemi, leurs bras et leurs mains s'entrelacent et chacun d'eux s'enfonce avec joie pour submerger l'autre avec lui.

 

Il y avait dans ce combat, parmi les Phocéens, un homme exercé à retenir son haleine sous les eaux ; soit qu'il fallût aller dégager l'ancre qui ne cède plus au câble, ou chercher au fond de la mer ce que le sable avait dévoré. Dès que ce plongeur redoutable avait noyé son adversaire, il revenait sur l'eau triomphant. Mais à la fin croyant remonter sans obstacle, sa tête rencontre le fond d'une galère et il reste englouti.

 

On en vit s'attacher aux rames d'un vaisseau ennemi pour retarder sa fuite ; on en vit même se suspendre en mourant à la poupe de leur navire pour rompre le choc d'un navire opposé. Leur plus grand souci était que leur mort ne fût pas perdue.

 

Un Phocéen, nommé Ligdamus, instruit dans l'art des Baléares, fait partir de sa fronde un plomb rapide. Tyrrhénus qui commandait du haut de sa poupe en est atteint : le plomb mortel lui brise les tempes, et ses yeux dont tous les liens sont rompus, tombent, chassés de leurs orbites par des flots de sang ;, immobile et dans l'étonnement de ne plus voir la lumière, il prend ces ténèbres pour celles de la mort, mais bientôt se sentant plein de vie : "Compagnons, dit-il, employez-moi comme une machine à lancer les traits. Allons, Tyrrhénus, abandonnons ce reste de vie aux fureurs de la guerre, et de mon cadavre tirons encore cet avantage de l'exposer aux coups destinés aux vivants." Il dit, et ses traits aveuglément tancés, ne laissent pas de porter atteinte. Argus, jeune homme d'une naissance illustre, en est frappé à l'endroit où le ventre se courbe vers les en-trailles ; et en tombant sur le fer il l'enfonce.

 

Sur le même vaisseau et à l'extrémité opposée était la malheureux père d'Argus, guerrier illustre dans sa jeunesse, et qui ne le cédait en valeur à aucun des Phocéens. Mais ici, courbé sous le poids des ans et tout consumé de vieillesse, c'était un exemple et non pas un soldat.

 

Témoin de la mort de son fils, il se traîne à pas chancelants, et, de chute en chute, le long du navire, il arrive jusqu'à la poupe et il y trouve son fils expirant. On ne voit point ses larmes couler ni ses mains frapper sa poitrine ; mais, comme il tend les bras, tout son corps se roidit, ses yeux se couvent d'épaisses ténèbres; il regarde son fils et il ne le reconnais plus.  Celui-ci, dès qu'il aperçoit son père, soulève sa tête penchée sur son cou languissant. Il veut parler, la voix lui manque, seulement sa bouche muette demande à son père un dernier baiser et invite sa main à lui fermer les yeux. Dès que le vieillard est revenu à lui-même et que la cruelle douleur a repris des forces : "Je ne perdrai point, dit-il, le moment que me laissent les dieux cruels ; je percerai ce cœur vieilli. Argus, pardonne à ton père de fuir tes embrassements et les derniers soupirs de ta bouche. Le sang bout encore dans tes blessures ; tu respires, tu peux me survivre encore." à ces mots, quoique son épée fût tout entière plongée dans son sein, il se hâte de se précipiter dans les flots, impatient de précéder son fils ; il n'ose se confier à une seule mort.

 

La victoire n'est plus douteuse, le sort des combats s'est déclaré. La plupart des vaisseaux de Marseille sont abîmés sous les eaux, le reste ayant changé de matelots, reçoit et porte les vainqueurs ; un petit nombre gagnent la mer et cherchent leur salut dans la fuite.

 

Quelle fut au dedans des murs la désolation des familles ! De quels cris les mères éplorées firent retentir le rivage ! On vit des épouses éperdues, qui, dans les cadavres flottants sur le bord, croyant reconnaître des traits souillés de sang, embrassaient le corps d'un ennemi qu'elles prenaient pour celui d'un époux. On vit de misérables pères se disputer près des bûchers un corps mutilé.

 

Cependant Brutus triomphant sur les mers (61) s'applaudit d'avoir, le premier, joint à l'éclat des armes de César l'honneur d'une victoire navale.

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(55) Marseille ose rester fidèle. - Au retour de la guerre d'Espagne, César réduisit Marseille, qui s'obstinait dans le parti de Pompée. Ces Grecs qui avaient toujours eu le monopole du commerce de la Gaule, étaient jaloux, sans doute, de la faveur avec laquelle César traitait les barbares Gaulois, quoiqu'il eût précédemment accordé des privilèges commerciaux aux Marseillais. Marseille était une colonie grecque, non de la Phocide, comme on l'a cru a tort, mais de Phocée, en Asie Mineure. Elle se déclara contre César, à l'instigation de Domitius qui s'y était rendu après avoir reçu la vie de César, à Corfinium. "Malheureuse ville que Marseille ! s'écrie Florus ; elle veut la paix, et la crainte de la guerre attire la guerre sur elle."

(56) Les murs de Phocée livrés aux flammes. - Le traducteur a dû corriger ici son auteur, qui dit la Phocide au lieu de Phocée. Nous avons déjà fait cette observation plus haut.  Quant à l'incendie de Phocée que ses habitants auraient livrée aux flammes en la quittant, c'est un point d'histoire assez obscur. Hérodote, qui a raconté leur migration, n'a rien dit de cette circonstance.

(57) A couvert sous la tortue. - Il y avait deux sortes de tortues : l'une faite de planches unies ensemble par des peaux et par des cordes, c'est celle qui servait à établir les travaux de siège ; l'autre était formée par l'exhaussement des boucliers tenus serrés les uns contre les autres au-dessus des têtes des soldats, in morem squammarum. C'est de cette dernière qu'il s'agit ici. Voyez Tite-Live, liv. XLIV, ch. IX, et Folard, de la Colonne, tome. I, p. 56.

(58) Alors on fait avancer le mantelet. - Le texte dit vinea, vigne. La vigne est une machine composée de planches et de claies, et recouverte de peaux fraîches et d'étoffes mouillées : elle servait à mettre les soldats à l'abri des traits pendant qu'ils travaillaient à faire des brèches aux murailles. Ce nom de vigne lui a été donné à cause de sa conformation. On l'établissait en carré, comme on plante la vigne. Plus loin pluteis signifie dos planches, des madriers qui garnissent le front de la vigne ou du gabion : autrement le mantelet, considéré comme une machine particulière de siège, ne différait pas beaucoup de la vigne. Voyez Végèce, liv. IV, ch. XV, et Juste Lipse, Poliorcet., I, dial. VII.

(59) La cruelle mort distingua ces frères. - Ceci est une imitation de Virgile, Énéide, liv. X, v. 391 :

Daucia Laride, Thymberque, simillima proles.
Indiscreta suis, gratusque parentibus error ;
At nunc dura dedit vobis discrimina Pallas.

Stace présente aussi la même imitation. Voyez Thébaïde, liv. IX, v. 95.

(60) Osa porter la main sur le bord ennemi. - Ce trait d'héroïsme, dont notre poète fait ici honneur à un Marseillais, Suétone, Vie de César, ch. LXVIII ; Valère-Maxime, liv, III, ch. II ; Plutarque vie de César, ch. XVII, l'attribuent à un soldat de César, dans ce même combat naval devant Marseille. "Acilius (miles Caesaris) navali ad Massiliam proelio, injecta in puppem hostium dextra, et abscissa, memorabile illud apud Graecos Cynaegyri exemplum imitatus, transiluit, in navem, umbone obvios agens." Suéton., loco dicto.

(61) Brutus, triomphant sur les mers. - Tous les détails de ce siège et du combat naval qui le termina, sauf sa partie poétique, se trouvent dans les Commentaires de César. Voyez Guerre civile, liv. II, ch. I - XVI.

 

 

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"Déméter : mère ou amoureuse en deuil ?"

20 Avril 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis

J'ai déjà parlé dans ce blog en septembre 2012 de Georges Devereux et de mes réserves quant à sa méthodologie (cf ici, des réserves qu'approuve son disciple Tobie Nathan dans "Ethnoroman"), je voudrais tout de même à nouveau ici saluer certaines de ses intutions, et, puisque nous parlions hier de Pythagore, dont la maison à Métaponte fut nommée "le temple de Déméter", j'aimerais dire un mot de son beau chapitre "Déméter : mère ou amoureuse en deuil ?" dans "Baubo, la vulve mythique"(1983) dans lequel il remarque que les déesses grecques donnent parfois l'immortalité à leurs amants mais jamais à leurs enfants, et qu'elles ne débordent guère d'amour maternel pour leurs enfants.

 

Déméter fait exception, note-t-il, ce qui la rattache à la tradition pré-olympienne (Gaïa, Rhéa). L'ethnopsychiatre s'aventure sur des sables très mouvants lorsqu'il avance qu'une mère ne peut aimer sa progéniture que si elle a eu un orgasme lors de la conception (il pousse l'aventure jusqu'à estimer que le viol peut provoquer un orgasme, en vertu de quoi Déméter violée par Zeus peut aimer sa fille, une thèse à laquelle bien sûr on ne saurait souscrire....), et qu'on repère chez Déméter un amour à la fois incesteux et lesbien pour sa fille Perséphone (ce qu'il va chercher dans une interprétation échevelée de Diodore de Sicile à propos des pratiques d'exhibition aux fêtes automnales des Thesmophories), mais ces acrobaties intellectuelles n'ont pour but que de transformer le deuil maternel de Déméter en deuil amoureux. Hypothèse que Devereux va renforcer en effectuant un détour par le fait qu'Adonis, amant d'Aphrodite, fut l'objet d'une dispute entre Perséphone et la déesse de l'amour et dut, comme Perséphone, rester six mois par an aux Enfers. Devereux note qu'Adonis est à la fois enfant et amant lorsqu'il est pris dans la rivalité entre Perséphone et Aphrodite. Jay Reeds dans New Verses on Adonis (p.81) rappelle qu'Adonis est traité comme un enfant dans les premières versions de la rivalité entre les deux déesses (mais qu'il n'est pas question de sa mort).

 

Vernant.jpgLa "démonstration" de Devereux, converge, je trouve, avec celle de Jean-Pierre Vernant dans l'Individu, la mort, l'amour (1989, p. 136) qui remarque que, chez Hésiode, l'attrait qu'exerce la femme sur l'homme entretient une complicité avec les puissances nocturnes de la mort. Vernant note que, dans l'Iliade, quand Hector se présente sans arme devant Achille Homère compare ce face à face amoureux tendre entre un homme et une femme, et c'est le mot oristus, rendez-vous intime, qui est souvent utilisé par Homère pour désigner les combats. Dans l'acte sexuel Eros "encapuchonne" de nuée la tête comme le fait la mort sur le champ de bataille, il "rompt les genoux" comme aussi la mort sur le champ de bataille.

 

Et parce que le regard de la femme est liquéfiant, dissolvant (takeros), comme la mort, sa beauté en est d'autant Leplus bouleversante. Or ce désir qui "rompt les membres" nous dit Vernant, les Grecs l'appellent Pothos.  Pothos, c'est l'amour pour quelqu'un d'absent (à la différence d'himeros), dans le deuil par exemple. Dans le cas de l'amour comme dans celui de la mort on est enlevé par un démon ailé (cf Emily Vermeule), les Harpyes, la Sphynge, mais aussi les Sirènes dans l'Odyssée qui mènent à des rivages où les chairs humaines se décomposent. Calypso (kaluptein=cacher), encapuchonne et cache Ulysse. La féminité de Calypso, nous dit Vernant (p. 152) "incarne l'au-delà du trépas, dans sa double dimension de séduction érotique et de tentation d'immortalité". Ulysse lui préfère la vie du mortel attendant la mort.

 

Ces deux rapports de l'amour à la mort, éclairent peut-être la maxime pythagoricienne rapportée par Diogène Laërce selon laquelle on doit faire l'amour "chaque fois que l'on veut s'affaiblir", et peut-être même l'autre recommandation de Pythagore de ne faire l'amour que l'hiver (saison de la mort et du séjour de Perséphone aux Enfers). L'épisode de Ménippe et l'Empuse dans la Vie du pythagoricien Apollonios de Tyane rejoint aussi cette intuition. J'y reviendrai à l'occasion.

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Roger Penrose et le théorème de Pythagore

20 Avril 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis

pyth.jpgIl y a six ans, j'ai fait pour Parutions.com la recension du livre de Roger Penrose "A la découverte des lois de l'univers - La prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique", traduit par Céline Laroche pour les éditions Odile Jacon - voyez mon billet ici - .

 

Je n'ai jamais prétendu avoir la compétence suffisante en mathématiques pures pour comprendre tout ce qu'écrit Penrose, mais ce qui m'a toujours intéressé chez lui, c'est sa conviction que les mathématiques ne sont pas des constructions de l'esprit mais des réalités qui existent indépendamment de nous, un point de vue assez hétérodoxe de nos jours.

 

Je suis donc retourné à son livre pour voir ce qu'il disait de Pythagore. Penrose, plus inspiré par Platon, ne lui accorde que deux pages (p. 9-10). Il lui reconnaît le mérite d'avoir introduit la notion de preuve en mathématiques, c'est-à-dire un argument irréprochable fondé sur une logique déductive dérivée d'axiomes, l'énoncé dont la validité est démontrée pouvant être qualifiée de théorème.

 

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Après avoir rappelé que Pythagore a inventé à Crotone (que la traductrice orthographie mal) une échelle de nombres à l'origine de notre musique (cf plus bas, mais McEvilley dans The Shape of Ancient thought considérait que l'origine de tout cela était plus ancienne), il estime qu'on doit à Pythagore, grâce à sa notion de preuve, la démonstration de la nature atemporelle des mathématiques. Les théorèmes de Pythagore fondés sur les nombres restent valables, nous dit Penrose, ceux qui sont fondés sur la géométrie, notamment le plus connu sur le triangle rectangle, n'ont de valeur quant à eux qu'à l'intérieur des postulats euclidiens, mais selon lui "la géométrie hyperbolique - et, toutes les géométries "riemaniennes" qui généralisent la géométrie hyperbolique à des géométries à courbure irrégulière (et qui fournissent le cadre de la théorie d'Einstein) - dépend de manière cruciale de la validité du théorème de Pythagore dans la limite des courtes distances. En outre, son influence considérable infuse d'autres domaines importants des mathématiques et de la physique (par exemple la structure métrique "unitaire" de la mécanique quantique) Malgré le fait que ce théorème ait, en un sens, été supplanté à grande distance, il reste primordial à la structure à petite échelle de la géométrie, avec une gamme d'applications qui dépassent, de loin, ce pour quoi il avait été proposé initialement" (p. 45).

 

 

 

 

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Les sorciers et sorcières de Wicca et la nudité

17 Avril 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur

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Historiquement, la nudité est assez fortement liée au souvenir de la prêtrise celtique féminine antique. Voir par exemple le texte sur ce site (un extrait de "L’instruction popularisée par l’illustration", par Bescherelle, de 1851, p.40).

 

« Druidesses. Prêtresses gauloises que l’on touve aussi appelés Druiades, Dryades*, mais qui, dans la langue gauloise, avaient des noms correspondant à ceux de Senœ et Kenœ, que leur donnaient aussi les Romains, et qui signifiaient saintes, vénérables. – Elles formaient des collèges indépendants les uns des autres. Les unes, qui paraissent avoir occupé le premier rang, vivaient dans une virginité perpétuelle ; celles de quelques collèges étaient mariées, mais n’avaient avec leurs maris que de rares communications. Les plus célèbres de leurs sanctuaires étaient ceux de lîle de Sein ou de Sains, sur les côtes du Finistère ; de l’île de Sana, sur la Loire, et du Mon-Jou (Mont Saint-Michel), sur les côtes de la Manche. Celles de l’île de Sein, nommées Barrigènes par les Gaulois, selon P. Mela, et du Mont-Jou, étaient au nombre de neuf. Leur costume ordinaire consistait en une longue robe noire à larges manches, serrée par une ceinture de cuir noir, et en un bonnet blanc en forme de cône tronqué, attaché sous le menton et recouvert d’un grand vile violet. Les Gaulois croyaient qu’elles pouvaient, par leurs enchantements, exciter des tempêtes, se métamorphoser en toutes sortes d’animaux, guérir les maladies les plus invétérées, et prédire l’avenir, surtout aux navigateurs. Elles expliquaient les songes, rendaient invulnérables ceux auxquels il leur plaisait d’accorder ce privilège, évoquaient les morts, les ressuscitaient même, et détournaient la grêle et les inondations au moyen d’opérations magiques qui ne pouvaient être faites que la nuit, à la lumière des torches ou au clair de la lune. On les voyait, dit Tacite, accomplissant des sacrifices nocturnes, toutes nues, le corps teint en noir, les cheveux en désordre, des torches à la main et s’agitant comme des furies. Leur réputation de prophétesses était aussi grande et plus grande peut-être dans l’Italie que dans la Gaule [...] Les auteurs chrétiens des six premiers siècles parlent souvent des Druidesses ; ils les qualifient de sorcières, en font les portraits les plus odieux et leur donnent même le nom de Lamies, de Stries, etc., qui annoncent des mœurs barbares et féroces ; mais nous croyons que de la part de ces dévots écrivains il y avait parti pris et haine religieuse. Nous ne saurions, en effet, attribuer aux Druidesses, comme l’ont fait inconsidérement certains auteurs, ce que Strabon rapporte (liv. VI) des prêtresses des Cimbres. Lorsque l’armée avait fait des prisonniers, dit cet auteur, les Druidesses accouraient vêtues de blanc et l’épée à la main, jetaient les prisonniers par terre, les trainaient jusqu’au bord d’une grande citerne ; là, une autre Druidesse attendait les victimes, et, à mesure qu’elles arrivaient, elle leur plongeait un couteau dans le sein et tirait des prédictions de la manière dont le sang coulait ; les autres Druidesses ouvraient ensuite les cadavres et en examinaient les entrailles pour en tirer des prédictions que l’armée attendait avec impatience. Sous les rois de la seconde race, où elles portaient les noms de Fadae, Fanae, Gallicae, on nous les montre habitant les cavernes, les puits desséchés, les lieux déserts, où de nombreux visiteurs venaient les interroger, et leur apportaient des présents en échange de leurs consultations ».


Ces textes ont beau relever largement de la légende (un signe : le nombre de neuf prêtresses comme les druidesses du Mont Saint Michel, ou les sorcières de Kaer Loyw - Gloucester - revient souvent), on voit bien que cette référence à la nudité a imprégné les imaginaires dans le cadre du néo-paganisme celtique en vogue depuis quelques décennies sous le nom de religion wiccane. wic2wik1

 

Le livre de référence sur l'histoire du renouveau de la sorcellerie celtique est "The triumph of the Moon : A  history of Modern Pagan Witchcraft" de Ronald Hutton Oxford Universitary Press, 2000, gros ouvrage de 500 pages qui explique comment la sorcellerie païenne a connu un renouveau à la fin du 18ème siècle en Angleterre quand les rationalistes ont fait abolir la loi interdisant la sorcellerie. Gerald Gardner a pu fonder la religion wiccane sur cette base, qui a ensuite migré en se transformant sous la houlette de Margaret Murray. Comme le note Hitton (p. 361) "Pagan witchcraft travelled from Britain to the United State as a branch of radical conservatism ; it returned as a branch of radical socialism".

 

Une des preuves de l'importance de la nudité dans cet univers là (qu'on trouve aussi dans l'imagerie de la page Facebook en français des Sorcières de Wicca), est cette question posée sur un site wiccan : "I'm thinking about joining a Wiccan coven, but I read somewhere that Wiccans practice in the nude. That sounds kind of embarrassing. What's up with that?"

 

La prêtresse Phyllis Curott ici répond "pas toujours, pas forcément", et insiste sur le fait que cela n'est pas obligatoire, et sur le fait que cela est interdit chez les mineurs, tout en soulignant qu'il faut tout de même valoriser la sexualité naturelle du corps et en citant une analogie avec le yoga tantrique ("your body is an embodiement of the divine").

 

"Skyclad" ("vêtu de ciel") est le mot réservé à la nudité rituelle. Tant l'orthodoxie gardnerienne que la tendance alexandrienne ont valorisé celle-ci. Sur cette page Angelina Rosenbush, wiccane de Minneapolis (Minnesota) met en garde contre le fait que la nudité lors de la fête de Baltane (le 1er mai) peut provoquer une hypothermie.

 

La question rejoint celle de la sexualité orgiastique, imputée à certaines dérives sataniques. Ce site insiste sur le fait que le sexe rituel ("grand rite"entre prêtres féminin et masculin qui se transforment en dieu et déess) ne se vit le plus souvent qu'en privé parmi les couples "établis" ou symboliquement avec une baguette magique et un calice, mais que les expériences orgiaques des années 70 ont quasiment disparu avec l'apparition du SIDA et de la "syphilis résistante aux antibiotiques". Il reconnaît cependant certains recours occasionnels à une sexualité rituelle qui ne serait cependant pas centrale dans les cultes.

 

Une wiccane prétend exprimer ici le point de vue le plus répandu dans les milieux wiccans (mais cela devrait être vérifié avec une enquête sociologique). Les wiccans sont "sex positive" (valorisent positivement le sexe), les femmes, même si elles sont mariées, ne sont pas la propriété de leur homme, et par conséquent leur demander si elles ont un homme dans leur vie est "irrelevant". Les wiccans dissocient la nudité du sexe. Tous ne sont pas naturistes mais beaucoup le sont. Pour les gens qui vont à des festivals païens (Free Spirit, Pagan Spirit Gathering, etc) il faut être prêt à voir certaines personnes nues. La plupart des groupes que cette témoin connaît pratiquent habillés.

 

Une émission de la chaîne du National geographic sur la nudité rituelle, dont un extrait gratuit a été visionné plus de 700 000 fois sur You Tube a suscité un commentaire à propos d'un "coven" de Sidney. D'autres témoignages sur le rapport à la nudité et à la sexualité des wiccans en Australie se trouve ici.

 

Pour l'utilisation de la nudité dans les religions, je renvoie à mon livre "La nudité pratiques et significations" (Editions du Cygne).

 

 

 

 

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Epaminondas ou le problème du rapport entre philosophie et guerre

9 Avril 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Histoire des idées

Dans le cadre de ma réflexion sur le pythagorisme, je ne peux éviter de me pencher sur le cas du général thébain toujours victorieux Epaminondas, dont Châteaubriand nous apprend que Bonaparte avait adopté son nom comme pseudonyme pendant le siège de Toulon en 1795.
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Vidal-Naquet avant de mourir a bien voulu reprendre dans son ouvrage "Le chasseur noir" son article de la revue Historia de 1960 intitulé "Epaminondas ou le problème tactique de la droite et de la gauche". Epaminondas remporta ses batailles de Leuctres à Mantinée (qui assurèrent l'hégémonie thébaine en Grèce) en révolutionnant l'art de la guerre par la tactique de masser ses meilleures troupes dans une fonction offensive à gauche, et non à droite comme le voulait la tradition (révolution qui d'ailleurs ne sera pas adoptée par les grands généraux qui suivirent).

Chez les Grecs comme chez les Romains, la gauche est du côté de la faiblesse passive et de la mort (on trouve déjà cela chez Homère). Tout indique (et notamment les tables des contraires d'Aristote, que les pythagoriciens ont systématisé l'opposition entre haut et bas et entre droite et gauche, au point qu'il était très impudique de placer la jambe droite sous la jambe gauche quand on croisait les jambes. Les "acousmatiques" ordonnaient d'entrer dans un sanctuaire par la droite et de chausser le pied droit en premier.

 

A l'époque des Lumières athéniennes (notamment avec le Timée de Platon prolongé ensuite par Aristote, mais aussi les Lois où Platon comme le médecin Diogène d'Apollonie, recommande d'utiliser les deux mais indifféremment), dans la géométrie ("siège et métropole des autres disciplines" selon Philolaos de Crotone cité par Plutarque) et la métaphysique, l'espace et des plus en plus indifférencié (quoique l'opposition droite-gauche ne disparaisse jamais).

 

Vidal-Naquet considère qu'il faut prendre au sérieux la formation philosophique d'Epaminondas auprès du pythagoricien Lysis (présenté par Plutarque comme un compagnon d'infortune de Philolaos de Crotone chassé de Métaponte) voire selon certains auteurs auprès de Philolaos lui-même (qui fut un pythagoricien hétérodoxe qui, en tant que géomètre, voulut relativiser la polarité des lieux). Pour lui, Epaminondas fut un véritable général philosophe : Alcidamas d'Elée remarque que la prospérité de Thèbes fut liée au fait que les philosophes y devinrent chefs et six siècles plus tard Elien cite Epaminondas comme exemple de philosophe compétent dans les choses de la guerre. Dans son actualisation de 1980 (p. 118 et suiv de l'édition de 2005 La Découverte Poche), il regrette que dans les vingt années qui ont suivi la publication, les historiens n'aient pas donné d'écho à sa thèse selon laquelle le privilège accordé à l'aile droite dans la tactique grecque n'était pas seulement lié au fait que les guerriers portaient leur bouclier à gauche, mais aussi à un tabou culturel inhérent à la dévalorisation de tout ce qui est attaché au côté gauche. Il reproche à ses collègues historiens de n'expliquer le militaire que par le militaire sur la base des remarques techniques de Thucydide en occultant la part des surdéterminations culturelles. Selon lui l'articulation entre philosophie pythagoricienne et art de la guerre dans le cas des victoires de Leuctres et de Mantinée reste largement à étudier.

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