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Le thème du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle

25 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Alchimie, #Histoire secrète, #Sainte-Baume

Je lis Frances A. Yates et MK Shuchard sur l'Angleterre du milieu du XVIIe siècle. Dans Rosicrucians, Yates explique le penchant des puritains anglais pour la kabbale. Après la défaite de Cromwell, la royauté s'appuya sur la Royal Society, fondée en 1662, qui comptait une composante maçonnique centrale consacrée à l'étude des sciences et à la magie. Elle défendait l'idée d'une harmonie sociale copiée sur la nature. Pour elle Dieu devient une sorte de monarque constitutionnel. Dès 1662, selon Marsha Keith Schuchard, Samuel Butler dénonça l'utilisation de la science juive par la Royal Society. L'astrologue néoplatonicien John Heydon qui avait l'oreille du roi pensait pouvoir reconstruire le Saint des Saints du temple de Salomon par la méditation sur les noms de Dieu. Le philosophe Kenelm Digby pensait que cette pensée sur le temple protègerait de l'athéisme naissant par exemple chez Hobbes. Et Christopher Wren construisait Saint Paul en lien avec le rabbin Jacob Judah Leon qui avait construit une maquette du Temple de Salomon modèle de la synagogue d'Amsterdam. Mais la publication de la Philosophia Naturalis, Principia Mathematica de Newton en 1687 discrédita la numérologie kabbaliste et bannissait les esprits de l'univers au profit d'une gravité magique. La kabbale n'allait plus se retrouver que dans la franc-maçonnerie, arme des whigs britanniques pour la dé-catholicisation de la France et du reste de l'Europe.

Pour mémoire Yates explique par ailleurs dans Science et Tradition herméneutique (et ce n'est pas sans importance pour notre problématique à la Simone Weil sur l'action de l'Esprit saint avant l'Incarnation) que la foi en la magie (qui à la Renaissance avait libéré une confiance en l'action humaine sur le monde) s'était nourrie de l'illusion de Marsile Ficin selon laquelle les Hermetica avaient eu la prémonition de l'Incarnation, alors qu'Isaac Casaubon en 1614 allait détruire cette croyance. Mais la dette à l'égard de la magie est restée tenace. Newton, rappelle Yates (p. 67), "en découvrant la loi de la gravitation et le système du monde qui lui est associé, croyait redécouvrir une vérité ancienne, déjà connue de Pythagore et cachée dans le mythe d'Apollon et de sa lyre à sept cordes". Newton passait plus de temps à étudier l'alchimie (à travers le rosicrucien Michael Maier) que les mathématiques, tout en appliquant à la première des règles de calcul rigoureuses. Et, il passa beaucoup de temps à travailler sur les proportions du Temple de Salomon, dont on disait à la Renaissance qu'il permettait de comprendre le plan divin de l'univers.

Shuchard a aussi un peu plus développé cette thématique du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle dans un article de 2019, intitulé Jacobite Jews and Faux Jacobite Jews: Some Masonic Puzzles.

En décembre 1583,  le protestant Jacques VI, Stuart roi d'Ecosse, nomma William Schaw, un catholique et politique modéré, maître des travaux royaux, et s'attela avec lui aux affaires architecturales, politiques et diplomatiques. Jacques et Schaw étudiaient la poésie de Guillaume de Salluste, sieur du Bartas , un protestant français, qui a inclus des thèmes salomoniens et des termes techniques de la maçonnerie opérative dans son œuvre importante pour le mysticisme architectural, Les Semaines. Du Bartas avait travaillé en étroite collaboration avec des maçons, auprès desquels il a appris les traditions salomoniennes du Compagnonnage français. Il avait instillé dans sa poésie une profusion de détails sur le métier de tailleur de pierre et la formation d'architecte.

En 1587, Jacques invita Du Bartas en Écosse, où ils se traduisirent mutuellement et  échangèrent des idées sur Dieu l'architecte. Quand Du Bartas fut rentré en France, il loua Jacques comme l'incarnation du grand rois juif ("le Scott'sh, ou plutôt le David hébreu"). L'identification de Jacques comme Salomon culmina en 1594, avec le baptême de son fils Henry et la reconstruction de la chapelle royale de Stirling sur le modèle du Temple de Jérusalem, avec l'aide des maçons opératifs, une cérémonie qui fut cependant très critiquée par les Presbytériens. Il transporta ensuite ce savoir maçonnique à la cour de Londres.

En 1631, son fils et successeur Charles, lui aussi maçon, accéda à la demande des maçons de Perth de financer la reconstruction du grand pont à onze arches sur la rivière Tay, qui avait été détruite par une inondation dix ans plus tôt. En prévision de la visite prévue du roi à Perth pour voir le projet de pont, le poète Henry Adamson composait un long poème sur le thème de l'architecture qui liait la construction à la réconciliation espérée entre l'Ecosse et l'Angleterre. Il y révélait également le lien croissant entre la franc-maçonnerie écossaise et le rosicrucianisme. Son architecte Inigo Jones (qui a d'ailleurs écrit sur Stonehenge, il faudra que je regarde cela à l'occasion) s'inspirait de la kabbale et de l'architecture jésuite de l'Escorial à Madrid.

Face à Cromwell, Cromwell, Charles s'assura le soutien des Juifs d'Amsterdam par l'intermédiaire de sa femme française versée dans l'ésotérisme qui était par ailleurs une fille de Marie de Médicis. En lisant cet article on comprend que le rabbin Judah Leon avait construit sa maquette pour contrer les thèses du jésuite espagnol Juan Baptista Villalpando, dont l'interprétation anachronique "sur-spiritualisait" le temple en le retirant de l'histoire juive. Après la décapitation de Charles,son fils Charles II exilé en France travaillait avec le réseau maçonnique écossais de Moray pour obtenir le soutien et le financement juifs pour sa restauration à "Jérusalem", ainsi qu'il appelait la Grande-Bretagne. Si Cromwell acceptait la banque juive à Londres, il gardait un agenda de conversion des Juifs que ceux-ci n'acceptaient pas, et ils lui préféraient donc les Stuarts. Après sa restauration, Jacques II fut tolérant envers les Juifs. Il obtint le soutien des partisans de Sabbatai Levi en 1665. La tolérance fut maintenue par son frère Charles II, converti au catholicisme, mais provisoirement abrogée par les protestants orangistes sous Guillaume III, ce qui allait aboutir à des luttes de factions dans la franc-maçonnerie britannique.

Il s'agit là d'un aspect peu connu de l'histoire européenne, à penser aussi avec ce que j'ai écrit il y a presque un an sur l'architecture secrète, néphilimesque, ou non, que j'avais découverte en 2014 à la Sainte-Baume, et plus récemment sur Louis Charpentier et sur Raoul Vergez. On retombe aussi sur certains thèmes de Barbara Aho (cf mon livre) concernant les savoirs architecturaux des jésuites qui seraient peut-être à creuser.

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A Saint Nicolas des Champs...

25 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

Peu de temps après la disparition de mon entité en août 2015 (voyez mon livre sur les médiums), je me suis intéressé à tout ce qui était guérison, délivrance, exorcisme etc. aussi bien en milieu catholique que protestant. C'est comme ça que j'ai suivi les enseignements d'Allan Rich, de Mme d'Astier de la Vigerie, et me suis rendu dans divers lieux où des guérisons se produisaient (rappelez vous que je suis même allé voir les antoinistes par curiosité, autant que dans l'espoir de guérir d'une tendinite).

J'avais entendu parler bien sûr de certains milieux charismatiques catholiques dans la lignée du père Tardif, mais j'attendais que l'occasion me soit donnée d'aller fréquenter un de ces cercles. Je crus cette occasion venue cet automne quand j'eus une conversation avec une psy un peu "New Age" de Mantes-la-Jolie, à qui je parlai des oppressions (maux de têtes, pressions sur le plexus solaire etc) que je subissais fréquemment. Elle me dit : "Il y a un endroit intéressant à Paris. Saint Nicolas des Champs. J'y ai amené une amie. Elle avait un cancer de l'anus. Elle a guéri instantanément, et, du coup, elle y retourne tout le temps maintenant. Moi je les trouve un peu intégristes, mais il s'y passe des grands moments de pardon. Ils se réunissent tous les jeudis. Il y a tout le temps des miracles qui s'y produisent.

Ca m'a surpris qu'elle parle de pardon, elle qui, dans son luciférisme, ne parlait jamais de péchés et de confession, et croyait qu'il fallait seulement "trouver le divin en soi". Mais je savais qu'elle n'était pas à une incohérence près. Cependant je savais qu'elle avait raison, concernant les miracles de Saint Nicolas, car j'avais déjà vu beaucoup de témoignages à ce sujet sur Internet. Et je me suis donc dit qu'il fallait que j'aille voir de plus près, avant que le froid hivernal ne me dissuade définitivement de sortir.

La psy m'avait dit : "Il faut y être assez tôt. Les places sont rares" Comme il y avait peu de trains au départ de ma province, je me suis retrouvé dans ce vieux temple parisien dès 16 heures, ce qui m'a permis de voir ce qui s'y passait bien en amont des "prières de guérison" de 18 h 15. Sur le panneau à l'entrée, il était écrit que l'astronome Gassendi y était enterré, ce qui ne m'a pas paru spécialement de bon augure car, autant que je me souvienne, ce contradicteur de Descartes était un libertin. Mais j'étais résolu à faire confiance à Dieu pour me protéger des éventuelles mauvaises influences.

Je n'avais regardé aucune vidéo avant d'entrer afin de porter un regard vierge sur tout ce qui me serait présenté. En entrant je fus donc frappé par la beauté des tableaux aux murs, ce qui ne m'inspira pas spécialement confiance, car personnellement je préfère toujours les lieux dépouillés. Il y avait une adoration du Saint Sacrement. Des chaises en plastique avaient été rajoutées pour la soirée, mais pour l'heure, il n'y avait là qu'une trentaine de personnes, pour les deux tiers des gens de couleur, comme souvent dans les séances d'adoration à Paris.  Avec mon prisme de sociologue, je me suis demandé si les proportions seraient les mêmes à partir de 18 h15. J'ai repensé à cette correspondante antillaise que j'ai eue, qui habite maintenant à Béziers, et qui a des visions de Jésus-Christ et de la Vierge Marie qui lui délivrent des messages prophétiques. Je n'ai jamais trop su si ses révélations venaient de Dieu ou du diable. J'avoue que, prudemment, j'ai évité de me pencher là-dessus, même si elle a souvent insisté pour que je l'aide à les publier, et je me demandais, dans cette église, quel "égrégore" pourrait bien naître des prières communes pendant la séance de guérison si la plupart des gens avaient le même profil spirituel que cette correspondante... Est-ce qu'on importe les entités de sa Terre natale ? Songez à cette porte-parole de Trump, le soir des résultats de la proclamation des résultats de l'élection présidentielle américaine de novembre 2020, qui se perdait en incantations : "J'appelle tous les anges d'Amérique, tous les anges de l'Afrique, qu'ils soient libérés maintenant ici même, etc."

Vers 17h 30, il y avait déjà plus de monde. Et ce fut la récitation du chapelet. Pour le coup cela n'avait rien d'intégriste contrairement à ce que prétendait la pauvre psy assez ignorante des choses de la religion (et volontairement ignorante : elle n'a jamais daigné me poser la moindre question à ce sujet, sûre qu'elle était - à tort - de toujours en savoir assez), cela n'avait rien d'intégriste. Il s'agissait des mystères lumineux, introduits dans l'Eglise par la pape moderniste Jean-Paul II (très moderne fut aussi la façon don une officiante par moment transformait "fruit de vos entrailles" en "votre enfant" - ce qui constitue une toute aussi mauvaise traduction de "fructus ventris tui"...). Comme ces mystères brisent la cohérence des 150 "je vous salue" que présente la succession des mystères joyeux-douloureux-glorieux (150 comme les Psaumes, c'est le "psautier de Marie"), je me suis tout simplement abstenu de réciter en même temps que l'assemblée (de toute façon, j'avais déjà récité mes mystères joyeux le matin). Cette dernière, plus nombreuse qu"à 16 h, comme je l'ai dit, présentait le même profil sociologique, dans l'ensemble, et - ce qui m'a surpris - n'était pas spécialement chaleureuse. On ne pouvait pas s'attendre à ce qu'une fraternité particulière émane du groupe, ce qui est toujours regrettable - je suis certain que cela attriste Dieu...

A 18 h15, cela commença. Cette fois l'église était bondée. Le prêtre en blanc expliqua le principe des intentions de prière, et puis ce qui allait se passer pendant la cérémonie : la présence d'un "service d'ordre" (sic), le fait qu'on serait filmé, le fait qu'il y aurait des manifestations de l'Esprit saint, des "paroles de connaissances" qui seraient délivrées à certains fidèles pour leur dire lequel d'entre nous serait guéri et de quoi, qu'il ne fallait pas avoir peur (il est vrai que ce surnaturel irrationnel peut déstabiliser), que tout cela était déjà dans le Nouveau Testament etc. On est toujours frappé de voir comme il faut systématiquement qu'un prêtre ou un officiant "recadre" les choses bibliquement pour que les gens n'aillent pas spéculer sur de fausses pistes. Il y avait des connotations très protestantes à tout ça, et d'ailleurs pendant la séquence des "enseignements" le prêtre allait lire un texte d'un prédicateur évangélique. C'était protestant... à ceci près que les miracles allaient se produire à mesure qu'on allait promener le Saint Sacrement dans les rangs et qu'il n'y aurait pas d'imposition des mains.

L'officiant insista sur le fait qu'il ne fallait pas avoir peur, et cela allait revenir dans les chants : "je n'ai pas peur". Et il est vrai que parfois, s'en remettre à l'Esprit, dans cette mouvance charismatique, expose à des situations effrayante. La seule personne qui parvînt à guérir ma tendinite (pour quelques heures) au téléphone le 1er mars 2020 fut une femme qui s'était vouée à l'Esprit saint et faisait des miracles dans les rues... mais s'était mise au ban de toutes les Eglises et affrontait des tas de phénomènes paranormaux bizarres, y compris l'incendie de l'immeuble où elle vivait...

"Tournez vous vers votre voisin, dit le prêtre, et dites lui 'je vais prier pour tes intentions' " ("dis à ton voisin" est une expression qu'employait souvent le pasteur Samuel Peterschmitt en Alsace). C'était une bonne idée susceptible de sortir tout un chacun de son égoïsme, mais cela n'eut pas vraiment pour résultat de mettre les gens en communion. Les gens gardaient des visages fermés. A ma gauche, il y avait un vieil africain. Je lui dis la phrase rituelle, et lui la dit aussi, sans conviction. La jeune femme européenne derrière moi de la dit pas, mais eut un sourire charmant quand je la prononçai dans sa direction et dit "merci".

J'avais remarqué sa présence, depuis un quart d'heure, parce que, avant que le grand père ne s’assoie à côté de moi, elle avait prié avec beaucoup de componction en mettant ses coudes sur la chaise à côté de moi, de sorte que ses avants-bras étaient à moins de trente centimètres de mon épaule gauche, et que, du coup, je ressentais le magnétisme de son corps, au point d'avoir chaud à l'oreille gauche. Toujours attentif aux égrégores ou aux forces énergétiques qui pourraient se créer, je m'étais demandé ce que cette interférence pourrait provoquer. J'observais aussi mes sensations : j'avais toujours mal à la tête depuis le matin, et le plexus solaire un peu froissé, mais je ne ressentais pas d'oppression particulière. Le lieu avait l'air spirituellement sain.

Je me demandais si tous les gens présents étaient malades. Certains avaient peut-être des choses graves comme la dame avec son cancer de l'anus. Mais cela ne se voyait pas sur leurs visages. Avant de savoir que le saint sacrement circulerait dans toute l'église, je m'étais installé plutôt à l'arrière puisque moi, je n'avais rien de grave (du moins à ma connaissance) à part les oppressions certains jours et ma tendinite au pied gauche. Si les miracles se produisaient autour du prêtre qui officiait à l'autel, je voulais laisser la priorité à plus atteint que moi. J'avais aussi des intentions de prière pour une copine musulmane atteinte d'une leucémie (vu son commerce avec le monde invisible depuis l'enfance cela ne m'a guère surpris) et pour la fille bipolaire d'un collègue (cartésien en surface, mais lui aussi a des rapports bizarres aux forces sombres : amateur de Bob Dylan, exposé au chamanisme involontairement dans un happening artistique en 2019 etc, le piège classique des bobos parisiens), mais je sais que Dieu peut aussi les guérir indépendamment de cette séance à travers mes prières, comme il l'a fait pour mes parents. Et de toute façon, je ne voulais pas m'enfermer dans des intentions personnelles. Je voulais être vraiment de bonne volonté dans l'intérêt général, en faisant abstraction de moi-même et de mon entourage. L'Evangile dit que de toute façon les bienfaits personnels viennent "de surcroît" quand on est dans cet état d'esprit.

Le prêtre avait dit qu'il faut commencer par la louange (ce qui est une évidence), même si c'est difficile quand on souffre beaucoup. Et, puisque je n'étais pas malade, je m'appliquai d'autant plus sur ce volet là que j'étais dans une situation confortable. Les cantiques étaient simples. Assez "protestants" aussi, dans l'inspiration, sur le thème "Viens esprit saint embrase nous" comme chez les pentecôtistes. Les femmes au micro les portaient avec chaleur, et j'eus plusieurs fois les larmes aux yeux en les reprenant, comme cela m'est aussi parfois arrivé à certaines messes ordinaires. L'assemblée chantait avec plus d'application qu'aux messes dominicales. Je ne sais pas trop si mes émotions m'ont nettoyé de quelque chose, en tout cas, je sentais quand même une sorte de présence de l'Esprit, et je ne doutai point qu'il se produirai des miracles. Et d'ailleurs il s'en produisit, que des gens proclamaient au micro "une personne vient de guérir de sifflement dans les oreilles", "les verrues plantaires de celle-ci ont disparu", "les varices de quelqu'un dans l'assemblée vont guérir et il n'aura pas besoin d'une intervention chirurgicale", "un membre de l'assemblée souffre d'avoir quitté une congrégation religieuse, mais en se vouant à Saint Jean-Baptiste il trouvera sa voie".

Le prêtre avait dit qu'il ne fallait pas se fier à ce qu'on ressentait, et que, même si rien les concernant ne serait dit au micro, certains guériraient quelques jours plus tard sans même s'en rendre compte. C'est très vrai bien sûr, et en tout cas, je veux bien croire que ce petit passage dans cette noble assemblée bénéficiera aux deux personnes pour lesquelles je priais (pour me voir dans l'assemblée voyez à la minute 55'42 ci-dessous).

Je suis sorti vers 19 h 25, avant la fin. Je ressentais un peu moins ma tendinite, l'air dans mes narines me semblait un peu "épuré", bref je ne ressentais pas spécialement de mauvaises influences, et donc j'étais plutôt content de ce passage en ce lieu qui faisait honneur au Créateur.

Quand je pris mon train du retour vers 20 h, une scène assez étrange se produisit que j'interprétai comme une validation divine de mon effort pour assister à cette prière collective (un peu à l'image des surprenantes synchronicités que j'avais reçues à ma descente de l'avion au retour de Medjugorje en 2016, des synchronicités et même des miracles à vrai dire plus spectaculaire, mais mon effort d'alors, avait été aussi plus grand puisqu'il avait duré plusieurs jours). Jugez en plutôt.

J'étais à l'avant du train à manger un sandwich, avec ma bouteille d'eau d'Evian à côté de moi, quand un jeune homme entra.

Pour bien situer le contexte, il faut savoir que les trains sont un univers triste, totalitaire. Pendant deux ans ils ont été au service de la dictature sanitaire et diffusent encore des messages répressifs à tout bout de champ avec un robot à la voix féminine détestable. Et la SNCF une structure entièrement dédiée au racket qui vous oblige à réserver des places dans des wagons vides (j'avais dû payer un nouveau billet parce que celui que j'avais n'étais pas valable sur les trains directs, une nouveauté...). Les gens tristes y sont hypnotisés par leur téléphone portable dans lequel ils cherchent une évasion illusoire purement addictive.

Le train ainsi transformé en bétaillère inhumaine robotisée est d'autant moins peu propice aux rencontres (contrairement à ce qu'il en était il y a cent ans), que les populations qui l'empruntent sont chacune enfermée dans ses références, son style vestimentaire etc. En plus, je ne suis pas d'un tempérament très sociable, c'est le moins que l'on puisse dire, même si la sociologie m'a donné le goût de la compréhension des gens mais sous un angle assez intellectuel...

Revenons à nos moutons. Ce jeune homme, grand, maigre, était très typé banlieue : survêtement clair, capuche, lunettes de soleil qui cachaient ses yeux, le genre de type que les bourgeois de ma trempe d'ordinaire évitent. Il avait avec lui un vélo, et, chose que je ne remarquai point au début, quatre canettes de bière (quoique cependant il ne sentit point l'alcool, donc il ne les avait probablement pas consommées).

Alors que j'étais en train de mâchouiller la viande de mon sandwich sur mon siège il m'interpela :

"Monsieur, je viens de trouver ce vélo, qu'est ce que j'en fais ?"

Moi, encore dans l'ambiance des prières de guérison sur lesquelles je méditais, je répondis avec un certain naturel : "Vous n'avez qu'à le laisser sur le quai". "- Mais pour quoi ?" "- Le propriétaire va le récupérer" dis-je. Il s'exécuta.

Je continuais mon sandwich pensant la conversation terminée. Mais le type avait envie de parler. "Vous faites quoi ?" me dit-il. J'hésitai à répondre parce que me demandais sur quelle partie de mes activités quotidiennes il cherchait au juste à m'interroger. Il ressortit prendre le vélo, et me dit "non en fait le vélo est à moi". A tout hasard j'approuvai sa bonne blague en souriant. La dernière fois que je suis allé voir mon prêtre guérisseur, une vieille dame qui était là m'a dit "merci pour votre sourire, ça fait du bien". On voit bien que les gens manquent de sourires. C'est aussi ce qui manquait aux prières de guérison, même si cela se comprend vu que les gens étaient malades et pleins de préoccupations...

Il me tendit alors une de ses bières : "Tenez je vous l'offre". Il était toujours impossible de discerner l'expression de son regard, du fait de ses lunettes de soleil. Je dis simplement avec un geste de remerciement : "Non merci, je ne bois pas". Il fut surpris. Je montrai ma bouteille d'Evian : "Seulement ça".

Il me demanda : "Ah bon ? Vous prenez quoi alors ? de la coke en cachette de votre femme ?"

Je n'eus pas vraiment le temps de de penser dans le feu du dialogue, mais en arrière plan de mes mots il y avait effectivement le fait que je ne veux pas boire d'alcool pour que cela ne me mette pas dans un état d'esprit charnel et notamment que cela n'ouvre pas des portes d'accès aux succubes la nuit.  C'est le genre de discours que de nos jours personne ne peut entendre, même s'il est profondément vrai.

Je dis assez naturellement, pour faire simple : "Non rien, ma drogue c'est Dieu," en montrant de l'index le Ciel. Je sais que c'est exactement le genre de propos qui peut me faire passer pour un halluciné, mais je suis toujours persuadé qu'il ne faut jamais mentir, dire les choses telles qu'elles sont, être la pierre d'achoppement s'il le faut. Les faux fuyants font le jeu des forces obscures et ne nous menaient à rien. Et je sentais peut-être inconsciemment que ce type bizarre qui faisait des blagues au premier venu sur son vélo dans un train où l'ignorance de l'autre et la méfiance sont la règle pouvait être interpelé par cette singularité.

Il me dit : "Ah bon, vous êtes quoi ? catholique ?", supposant peut-être que mon refus de la bière était musulman, mais que quand même, n'ayant pas le front marqué, ni la barbe, vu mon look, l'hypothèse de ma conversion à l'Islam était peu probable. Je répondis résolument "oui". Bien sûr, de nos jours, ce genre de réponse est mal. Il est toujours plus chic de se dire évangélique, ou témoin de Jéhovah... La dernière fois que j'ai essayé de parler du Christ à un type de banlieue c'était peu après mon retour à la religion, vers 2017, et il m'avait traité de "curé pédophile". Il faut dire que je m'y étais pris maladroitement à l'époque, car, suivant les enseignements de certains youtubeurs évangéliques justement, j'avais cru alors qu'il fallait "prendre autorité" sur les forces invisibles, oubliant au passage la nécessaire dimension de douceur, surtout à notre époque où les égos sont exacerbés...

Alors, le jeune type me demanda : "J'ai une question pour vous. Qu'est-ce que c'est que la paix ?"

La question m'étonna. Je compris que pour ce type parler de religion amenait nécessairement à s'interroger sur la paix, ce qui est au finalement assez profond. Je n'étais pas d'humeur analytique. Je pense que la séance à Notre Dame des Champs m'avait en fait rempli de l'Esprit, même à mon insu, et je dis posément à ce garçon : "La paix, c'est quand on n'a de conflits avec personne, et qu'on fait confiance à ce qui vient de Dieu". Il me dit qu'il n'avait pas compris le mot "confiance" "qu'est ce que ça veut dire, je ne comprends pas ?". Alors, un peu dans la veine du prêtre qui avait expliqué pourquoi il était important d'être dans la louange, je dis "c'est simplement penser que tout ce qui vous arrive c'est bien". Les mots me venaient comme ça, avec la conviction que ça allait apporter quelque chose à ce jeune homme.

Curieusement, il me répondit un truc du genre : "Oui, c'est vrai sur le plan sociologique, mais pas sur le plan de l'anthropologie". Et il sortit d'une phrase qui ne s'imprima même pas dans mon esprit tellement je savais que l'intervention des mots "sociologie" ou "anthropologie" qu'il avait sans doute entendus quelque part sans les comprendre, n'avaient pas leur place ici. Mais j'approuvais quand même ce qu'il disait par bienveillance spontanée.

Le type alors me dit : "J'ai encore une question : qu'est ce que c'est que l'humanité ?"

Un peu embarrassé, je cherchais une réponse. Et le garçon répliqua : "Ah, c'est trop difficile pour vous ça comme question, hein ? Hé bien l'humanité, c'est votre regard, c'est ce qu'il y a dans votre regard". Il me fit un "check" avec la main, me souhaita une "bonne après-midi" en souriant (alors qu'il était 20 heures passées, ce qui prouvait bien qu'il était assez "à l'Ouest" comme on dit) et alla s'assoir au fond du wagon.

Peu importait que ce jeune homme ait été un peu dérangé. "Dieu a choisi les choses folles du monde pour couvrir de honte les sages". Je sais que dans le regard de Dieu ce genre de "dérangement" est au dessus de notre rationalité. Il y a quelques années, devant Saint Lazare en hiver, j'avais vu un fou pieds nus en shorts qui, pataugeant dans les flaques d'eau, suppliait les gens de lui acheter des chaussures. Je me doutais bien qu'il y avait des associations pour lui offrir des chaussures d'occasion et que, s'il n'en avait pas, c'était parce qu'il avait un problème mental. J'avais quand même essayé de parler un peu avec lui et lui avais passé dix euros. Là encore ce n'était pas vraiment mon "égo" qui avait pris cette initiative, mais l'Esprit Saint en moi. Et, j'avais pu vérifier que cela était surnaturel, parce que, 200 mètres plus loin, quand mon billet ne passait pas les portes d'accès électroniques, diverses personnes étaient venues vers moi pour m'aider à franchir ces barrières, ce qui d'habitude n'arrivait jamais. A travers les gens un peu dérangé Dieu nous parle et, en suscitant en nous l'attitude adéquate, nous met dans des processus qui sont au dessus, au delà, de nos fonctionnements quotidiens. Il nous révèle pour ainsi l'envers du décor, et l'au-delà. Hier soir, il me mettait par ce dialogue que certains qualifieraient de "surréaliste", aux prises avec les seuls vrais enjeux, les plus profonds de la spiritualité, par delà la question (importante quand même) de savoir si l'on traduit bien l'Ave Maria ou pas : la question de la paix, de l'humanité, dans un monde où l'humain est divisé (y compris dans son for intérieur) et nié en permanence...

Je pense que le verdict final - qu'il y avait eu de l'humanité dans mes yeux, même si cette humanité provenait plus d'En Haut que de ma nature profonde, toujours méfiante et égoïste - venait pour ainsi dire valider le fait que j'avais sans doute bien fait d'aller à Saint-Nicolas-des-Champs quels qu'en soient les résultats pour mes "intentions" au profit des gens que je voulais voir guérir. Je ne sais pas si j'ai "évangélisé" hier soir, mais peut-être ce type bizarre est-il rentré chez lui avec une image plus positive du christianisme que celle qui circule d'ordinaire dans la culture dominante. L'Esprit fait des choses comme ça, parfois, alors que notre nature n'y prend aucune part et n'en reçoit pas de mérites.

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Sainte Thècle : de la Cilicie à Tarragone

19 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Christophe, #Histoire des idées, #down.under

J'ai déjà parlé sur ce blog de l'arrière-grand-père de ma grand-mère paternelle, Pedro Aguilar (1819-1881), franciscain de l'ordre tertiaire. Sa  propre grand-mère Tecla Cañizar était décédée à Valjunquera (province de Teruel, dans le Bas-Aragon, à la limite de la Catalogne), en 1844, quand il avait 25 ans. Elle s'appelait donc Thècle, comme la compagne légendaire de Saint Paul, dont personnellement j'ai découvert l'existence dans les années 1990 en lisant "Le Renoncement à la Chair" de P. Brown. J'ai été surpris en l'apprenant car ce prénom était peu usité en France à la même époque. C'est un  prénom qui fait miroiter l'Aragon avec la chrétienté d'Orient.

En lisant ce texte de Valentina Calzolari, de l'université de Genève, spécialiste de l'Arménie, The Legend of St Thecla in the Armenian Tradition from Asia Minor to Tarragona through Armenia on apprend comment la spiritualité autour de Thècle s'est nourrie d'un aller-retour avec la culture arménienne. L'article raconte en effet comment Les Actes de Paul et Thècle, qui narrent la vie de la première femme martyr chrétienne, texte syriaque du IIe siècle, ont été traduits en Arménie au début du Ve siècle (l'Arménie était chrétienne depuis le début du IVe siècle). Fauste de Byzance au Ve siècle, dans son Histoire de l'Arménie, fit de Sainte Thècle la gardienne de l'orthodoxie chrétienne face à l'arianisme (une hérésie de l'Arménie, inféodée à l'Empire romain) n'adopta jamais. Selon lui, en 378, quand l'empereur romain arien Flavius Valens (qui succéda à Julien l'Apostat et à Jovien) meurt, ce n'est pas entre les mains des Goths à la bataille d'Andrinople,  mais tué par St Théodore et St Serge, sur ordre d'une assemblée de martyrs à l'initiative de Ste Thècle, ce dont un sophiste fut témoin en vision dans le sanctuaire de la sainte. Ste Thècle est ainsi érigée en protectrice du Crédo de Nicée.

Il semble que l'épisode renvoie au fait qu'il y avait un sanctuaire d'incubation dédié à Ste Thècle à Séleucie au sud de l'actuelle Turquie, où, selon La vie et les  Miracles de Thècle du pseudo-Basile de Séleucie la sainte aurait vaincu le démon d'Athéna.

En 1320, Séleucie en Cilicie est dirigée par une dynastie arménienne car une communauté arménienne s'y était installée fuyant les seldjoukides. C'était un des ports où faisaient halte les marchands catalans sur le chemin de l'Orient. Grâce aux bonnes relations entre le roi arménien Oshin (4 lettres de lui sur la question sont gardées aux Archives générales de la Couronne d'Aragon à Barcelone, copie des authentiques) puis son fils Levon IV et le roi d'Aragon Jacques II, évoquent le transfert des reliques de Sainte-Thècle de Séleucie à Tarragone. Dans une lettre du 4 septembre 1319, Jacques II annonce l'arrivée prochaine en Cilicie de la mission diplomatique aragonaise, qui remettra des dons au roi arménien. Dans la seconde  du même jour, il évoque la création récente de la cathédrale de Tarragone et demande pour elle des reliques "le corps de la bienheureuse Thècle ou une partie"... pourvue que c'en soit une assez grande. Le 4 décembre 1320 le roi signale que le bras de la sainte est arrivé à Valence, et précise qu'aucune autre partie de la sainte n'a été trouvée en Cilicie ni ailleurs dans le monde. La quatrième lettre averti le prévôt de Tarragone Raymond d'Avignon de l'intronisation des reliques à la cathédrale de la ville à la Pentecôte de 1321.

Au Ve siècle il n'y avait pas de reliques ou de tombe de Ste Thècle à Séleucie. Le pseudo-Basile dit d'ailleurs qu'elle n'est jamais morte. Comment en est-on venu, demande Valentina Calzolari, à ce bras comme relqiue ? Un manuscrit latin du XIV s. archivé à la cathédrale de Barcelone, De Sancta Tecla Virgine, fait état d'une légende arménienne traduite en latin par un notaire du roi Oshin, Nicolas de Ray. Cette légende tardive raconte que Ste Thècle poursuivie par ses agresseurs fut hébergée dans un rocher que Dieu ouvrit pour la sauver (ce qui correspond aussi à la tradition de Maaloula en Syrie). Puis quand le patriarche de Séleucie voulut une relique, un ange le conduisit dans les montagnes et l'avant bras droit de la sainte avec sa main apparut au milieu de parfums sublimes, et le bras fut placé dans une église grecque construite pour l'occasion.

Il existe à la cathédrale de Tarragone un retable sculpté par Johan Vallfogana entre 1426 et 1436 montrant l'apparition du bras à Séleucie.

L'importance de Sainte Thècle pour Tarragone s'illustre dans cet épisode de la vie de l'archevêque Pedro Clasquier (ou Pere de Clasqueri/Pedro de Clasquerin). Alors que le roi Pierre IV d'Aragon dit le Cérémonieux réclame la propriété de la ville de Tarragone, l'archevêque s'y oppose. Le souverain dépêche des hommes de troupes sous la direction de Don Raimond Alaman. L'archevêque excommunie les usurpateurs puis s'en va prier à la l'église dédiée à la sainte. Puis Sainte Thècle apparaît au roi, le gifle, il en tombe malade et, plein de repentir, restitue alors à l'archevêque sa ville et ses biens avant d'expirer. Pedro Clasqueri, qui fut aussi patriarche d'Antioche, mourut en 1380. Pedro IV décéda le 5 janvier 1387 (source : Histoire générale d'Espagne, traduite de Juan de Ferreras par d'Hermilly, Paris, 1751, t. 5,p. 529). Il semble que l'intervention de la sainte ait été postérieure à la mort de l'archevêque.

Saint Vincent Ferrer fit une allusion à cette gifle (1350-1419) dans une lettre au roi Martin l'humain (qui régna de 1396-1410), et sa mention la plus ancienne est dans la Chronique d'Aragon du cistercien Gauberto Fabricio de Vagad. On notera que dans le récit de Vagad qu'a restitué Eduard Juncosa Bonet de l'Universidad Complutense de Madrid, le roi d'Aragon dit seulement qu'une très belle "donzelle" le gifle et que les clercs autour de lui en déduisent que c'est Ste Thècle. Amadeo-J. Soberanas (en 1965), lui, date précisément l'apparition de la sainte du 29 décembre 1386, quand le roi est déjà malade, et précise qu'elle ne le gifle que parce que lui même a tenté de la blesser.

Même dans cette gifle, on voit encore en arrière-plan le thème de sa main droite. Déjà dabs La Vie et les Miracles de Thècle elle avait giflé en magistrat d'Antioche qui l'offensait.

Dans "El Triunfo Milagroso de la Omnipotencia, en la Vida, Martyrios, y Milagros de la Esclarecida Virgen, e Invicta Prothomartyr de las Mugeres, Santa Tecla Escrivele, y le dedica a la misma Santa el Padre Iayme Vilar de la Compañia de Iesus" / Jaime Vilar (1697) p. 162 et suiv on peut lire de longues conjectures sur la mort de Ste Thèce à 90 ans, alors qu'elle serait née en l'an 29. Il affirme que Saint Paul vint évangéliser l'Espagne en 61, ce qui pourrait être 14 ans après la mort de la sainte, si, au contraire, on retient qu'elle fut martyrisée à 18 ans (en 47). Saint Paul aurait lui-même présidé à l'érection de l'église de Tarragone. Il n'hésite pas non plus à parler (p. 173) d'un sépulcre de la sainte à Séleucie sur lequel Saint Grégoire de Nazanze se serait rendu en pèlerinage.

La liste des miracles de sainte Thècle en Aragon-Catalogne que répertorie Jaime Vilar, il y a l'apparition en 1644 à la prieure du couvent de Sainte Thècle de Valence de la sainte en compagnie de la défunte Doña Isabelle de Bourbon, première épouse du roi Philippe IV, toutes deux portant des colombes à la main. Thècle lui annonce que la reine consort a atteint le paradis après trois jours de purgatoire et que le roi gagnera la guerre qui l'oppose au roi de France (qui vient de prendre Lerida). L'archevêque recommanda le silence, jusqu'à ce que Philippe IV effectivement pût reprendre Flix, Monzon et Lerida.

Elle est aussi apparue à un prêtre de son église de Tarragone et à l'évêque pour leur reprocher d'autoriser un laïc à y être enterré (p. 198).

Le mérite de l'échec des opérations françaises contre Tarragone de 1641 et 1644 fut attribué à la sainte. En 1644 elle aurait atténué l'impact des boulets français, même dans sa propre église. Le commerçant Esteban Fontanet, qui avait subi deux sévères tempêtes en deux ans, le portant au bord de la faillite, dans ses allers-retours entre Tarragone et Barcelone, se sauva d'une troisième par l'invocation de Sainte Thècle (p. 232). En 1656 trois musiciens embarqués à Barcelone pour se rendre à la fête de la sainte à Tarragone furent capturés par des maures. Ceux-ci filaient vers la Côte des Barbaresques pour les y maintenir en esclavage mais les musiciens invoquèrent la sainte et la galère royale espagnole qui passait à proximité prit en chasse leur bateau de captivité et les libéra.

En 1652 le bras de la sainte transporté en procession sur les champs mit fin à la sècheresse à Tarragone (p. 237). A  Torralba dans la province de Huesca, confrontés à la même sècherese, les habitants décidèrent d'envoyer une procession à l'église Sainte Thècle à Cervera (province de Saragosse) et obtinrent immédiatement la pluie. Le bras de Sainte Thècle à Tarragone rendit la vue à un prêtre aveugle depuis 16 ans (p. 244), ses "reliques" du couvent Sainte Thècle de Valence produisirent aussi des guérisons, un enfant d'Alcogujate (Cuenca en Castille) guérit de ses fractures après une neuvaine de ses parents dédiée à la protomartyre, etc.

Le souvenir de la sainte en Aragon est associé à un mélange de douceur et de rigueur.

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Jean Staune, Eugène Aroux, mes sujets de recherche actuellement

12 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Spiritualités de l'amour, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis

Un lecteur au pseudo néphilimesque attirait mon attention hier sur l'essayiste qui se prétend chrétien Jean Staune, dont je découvre d'ailleurs qu'il était invité par un cercle d'économistes et d'hommes d'affaire dans ma ville natale cette semaine (le 9 novembre), ce qui signifie que, comme Lenoir, il est un peu un auxiliaire de la spiritualité dominante contemporaine.

A vrai dire, plus je réfléchis aux prises de position de ce penseur moins je leur trouve d'intérêt. C'est en premier lieu un apôtre de la religion primordiale (il pense du bien de Guénon), qui, tout en défendant l'importance d'un christ "cosmique" comme le faisait jadis le père Brune, estime plus ou moins (je dis plus ou moins parce que son propos là-dessus varie d'une minute à l'autre) qu'avant Jésus était Osiris, et que ça ou Krishna (ou peut-être Shiva) c'est au fond un peu toujours la même chose, même s'il se trouve que pour les Occidentaux il faut que ce soit Jésus. Ce n'est pas très étonnant, vu la filiation dont il se réclame. Il explique que son propre père l'a initié à certains textes confidentiels de l'ésotérisme chrétien, il place dans son panthéon le Padre Pio (comme le font beaucoup d'occultistes) et surtout l'étrange Maître Philippe de Lyon (une lectrice de ce blog, qui a peut-être payé le prix fort d'avoir connu de très près le milieu qui se réclamait de ce médium, aurait beaucoup de choses à dire là-dessus), en habillant le tout de physique quantique et de références (sans grand discernement) aux expériences de mort imminente. Cette façon de défendre la Foi, tout en la noyant intellectuellement dans un océan de relativisme hindouïste ne me paraît pas précisément constituer le bon moyen d'accomplir le projet messianique (d'ailleurs l'eschatologie est totalement absente de son propos, avec Staune il n'y a plus d'Histoire, vu que de toute façon, dans la physique quantique il n'y a plus de temps : son panthéisme qui paradoxalement veut nous retirer du monde, bloque en réalité le devenir...). De toute façon, par principe je n'aime pas les gens (les gnostiques lucifériens) de cette trempe qui nous invitent à vouloir "devenir des dieux" en sortant de la "Matrice" et qui omettent de poser à titre de préliminaire que nous ne pouvons le faire qu'en devenant Serviteurs du Très Haut, c'est-à-dire sans égo.

Je pense que son attachement au livre Le retour du phénix de Marthe de Chambrun Ruspoli dont Roland Tefnin a bien démonté le contenu dans la revue L'Antiquité Classique de 1985 suffit à situer le niveau de sérieux du travail de Staune.

Je crois que je ne reconnais à son fil de recherche qu'un mérite : celui de poser la question de savoir ce qu'est l'Eglise johannique dont parle l'Evangile de Jean en son chapitre 21, question qui en a travaillé tant d'autres par le passé (je pense ici à Léonard de Vinci avec son célèbre tableau de la Cène, et aux églises "parallèles" guérisseuses ou non). Si elle existe, de toute façon, vu l'ambiance antéchristique actuelle, cette Eglise ne peut pas être du côté des auteurs de livres à succès, ni des conférenciers promus par YouTube. Le Royaume est comme la graine de sénevé, il grandit dans l'ombre et l'humilité (Matth 13:31).

Personnellement, je préfère en ce moment m'intéresser à un tout autre auteur, très clandestin celui-là et impeccablement fidèle à l'Eglise de Pierre, humble essayiste méthodique et scrupuleux des années 1850, le normand Eugène Aroux. Denis de Rougemont dans L'Amour et l'Occident ne le cite que pour l'associer au Sar Péladan, ce qui est un grand tort. Je crois que ses hypothèses sur les cathares et l'amour courtois, même si elles simplifient un peu trop la problématique de l'amour platonicien, sont extrêmement utiles pour comprendre le poids de l'hérésie dans la culture européenne depuis Joachim de Flore, surtout son poids occulte. Oui, il faut se plonger dans les travaux d'Aroux. Ceux-ci d'ailleurs ne sont pas étrangers au sujet de l'adamisme dans le couvent franciscain de Louviers que j'évoquais dans ce blog il y a deux mois, et cela conduit à réfléchir aux fruits douteux du séraphin d'Assise, particulièrement en la branche actuelle de son arbre : l'Eglise "synodale" que le pape tente d'imposer. On y reviendra. 

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L'abbaye Notre Dame au Nonnains de Troyes et les vestales...

8 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Anthropologie du corps, #Histoire secrète

Dans "Sur la route sociale", le franc-maçon André Lebey écrivait en 1909 (p. 55) : C'est à Troyes, une des cités les plus religieuses de France, qu'a été fondé l ordre du Temple, par Hugues des Payens. Une des premières sociétés maçonniques qui s'y établit s 'appela: Loge des Chevaliers Saint-Jean de la Palestine. Parmi les couvents nombreux qui s 'y perpétuèrent, le plus célèbre fut celui de Notre-Dame aux Nonnains, — remplacé par la préfecture qui passa toujours pour abriter une survivance des cultes du paganisme en même temps que certaines pratiques des prêtresses druidiques. "

L'histoire de cette abbaye m'a intrigué car elle est l'actuelle préfecture où j'ai travaillé pendant 6 mois, il y a bien longtemps.

L'abbé Charles Lalore, professeur de théologie au grand séminaire de Troyes, écrit en 1874 à son sujet (p. 151) :

L'abbaye royale de ND de Troyes a tiré l'origine de son établissement des Vestales qui étaient à Troyes où elles gardaient le feu sacré, hors les portes de Troyes. Elles y étaient nombreuses et avaient à leur tête une princesse de sang royal qui avait dans cette ville trois châteaux superbes. Saint Pierre y dépêcha Saint Savinien qui convertit en premier lieu les vestales, après quoi la princesse donna un de ses châteaux pour faire un évêché (et d'ailleurs elles demandèrent un évêque au roi), le second à la vicomté ou hôtel de ville, le troisième, elle se le réserva avec un terrain sur lequel étaient bâties toutes les maisons des vestales, qui étaient autour de leur temple, qu'elles dédièrent à Notre Dame après leur conversion (sans jamais avoir éteint le feu). L'abbé Lalore observe qu'il ne se peut que les vestales aient été ailleurs qu'à Rome, ni que leur temple fût hors des murs de la cité, et que St Savinien de Troyes est mort eu IIIe siècle. Il pointe qu'il est évident que l'histoire télescope plusieurs époques, parle du blason des trois châteaux omniprésent dans le couvent au XVIe siècle qui a pu servir de fondement à la légende.

Avant lui, Auguste Vallet de Viriville, auteur de méditations profondes sur la féminité en Occident, avait avancé que peut-être il y avait là le souvenir du temps où des chanoinesses séculières (comme au temps de St Geneviève, précise-t-il) avaient pu instituer le culte de la Vierge Marie, cette origine purement féminine du culte pourrait expliquer qu'ensuite les religieuses du couvent étaient investies lors de l'intronisation des évêques du privilège singulier de lui donner, dans l'enceinte de l'abbaye, ses vêtements sacrés. Puis l'évêque jurait sur le texte des Evangiles en parchemin, coutume attestée jusqu'au XVIIe siècle (Vallet de Viriville cite d'autres exemples de participations de bonnes soeurs à des rituels épiscopaux, à Rouen, en Italie...).

Peut-être est-ce dans cette pratique des bénédictines que Lebey voyait l'empreinte des "prêtresses druidiques" (qui seraient les soi-disant "vestales"), mais ce sont des éléments tout de même assez ténus. Il y a là en tout cas des éléments intéressants pour une étude de la spiritualité féminine en Gaule. Et d'un point de vue anthropologique, la place des nonnes dans l'investiture de l'évêque renvoie à cette problématique compliquée analysée par Michelet de la tension entre la femme et le prêtre, et du rapport masculin-féminin dans la religiosité.

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Dépayser le regard

5 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate

Cette semaine, avant de m'endormir, je regardais, sur une chaîne de télévision thématique, documentaire sur Botticelli, un de ces documentaires américains à la Discovery Channel doublés en français. C'était idiot et brutal, comme tout ce que l'on propose au grand public maintenant. Les soi-disant universitaires interrogés se répandaient en inepties racoleuses et stériles du genre "Botticelli était un influenceur", "il était malin", "il savait ce qu'il voulait" etc.

Vous savez que dans mon dernier ouvrage sur Lacordaire je suis loin d'avoir adhéré inconditionnellement au point de vue de cet auteur. Et cependant je dois dire que je suis heureux d'avoir pu approfondir le regard que lui et sa génération (celle de Stendhal, de Montalembert) ont porté sur la Renaissance italienne, un regard qui n'est pas plus exact que celui des autres époques mais qui au moins m'aide à échapper à la barbarie de celui de notre siècle.

De même en ce moment je lis en traduction automatique, grâce au site Google Translate, la Chronique d'Henri de Livonie écrite à la fin des années 1220 sur la christianisation des Pays Baltes. Je crois que je n'aurais jamais eu la patience d'en éplucher les chapitres, de me plonger dans cette ambiance étrange qui n'est pas sans évoquer celle du Far-West au XIXe siècle, des moines et chevaliers germains face aux peuples païens (toujours fourbes et renégats) sans avoir lu auparavant les pages enthousiastes de Lacordaire sur les missionnaires dominicains au Pérou et en Chine. Le clergé n'a pas eu entièrement raison dans sa lecture du passé, ses opposants non plus. Mais il faut lire son point de vue (ce qu'on ne fait plus guère), comme il faut lire les autres, et une des portes d'accès commodes, peut-être plus proches de nous que celle des écrivains du Grand Siècle par exemple, à l'heure où l'on construisait les premières lignes de chemin de fer entre Paris et Saint-Germain-en-Laye et entre Avignon et Marseille, se trouvent bien chez ces auteurs des années 1840. Un peu revenus de la candeur médiévale autant que des critiques cyniques de l'époque des Lumières, tentant de préserver une certain objectivité sans pour autant brider le sentiment et l'imagination, ils sont pour moi une clé excellente de dépaysement du regard. Remarquez d'ailleurs que tous les écrivains d'après 1880, en assimilant Victor Hugo et Lamartine, ne faisaient rien d'autre que de toujours tremper leur sensibilité dans les lacs de cette génération-là, ce qui confirme bien son importance pour la construction de notre propre approche, de ce qu'on ose encore appeler "notre culture".

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Recension de mon livre "Le complotisme protestant" dans une revue universitaire américaine

3 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Publications et commentaires, #Histoire secrète, #Christianisme

Mon livre "Le complotisme protestant contemporain : A propos d'une thèse sur la tribu de Dan" (préface Régis Dericquebourg) paru chez L'Harmattan en 2019 vient de faire l'objet d'une recension dans la revue universitaire américaine (University of California Press) Nova Religio, vol. 26, no. 2 de ce mois de novembre 2022 pp. 124–125.

Voici le début de l'article de Dirk von der Horst :

"This book performs a rhetorical analysis of the website “Mystery, Babylon The Great: Catholic or Jewish?” (https://watch.pairsite.com/mystery-babylon.html) as part of a sociological investigation of the nature of conspiracy arguments. Christophe Colera positions his argument as a sociological one both by noting the political implications of such arguments—he credits them with a role in the election of President Donald Trump—and by situating it as an element of a social “field” in the sense that the sociologist Pierre Bourdieu proposed it. The introduction provides rationales for a sociologist following the lead of Max Weber to study an obscure website with spurious factual claims and undetermined authorship. There is no evidence apart from the website itself of either “Barbara Aho” or her husband, credited as its authors. They may simply be another fictive element among the imaginings that drive the website’s narrative.

Colera is particularly interested in how a born-again Christian..." La suite gratuite ici ou payante ici

 

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